Amis sportifs, je suis le seul intellectuel 50% sportif;
amis intellectuels, je suis le seul sportif 50% intellectuel;
amis cons, allez surfer ailleurs;
amis, jeunes ou vieux, qui ne voulez pas mourir idiots, venez me rendre une petite visite de temps en temps.

mardi 30 juin 2015

MOUSTIQUUS PETBURNUS ?

    Et bien oui, ils sont nécessaires... les trublions, les poils à gratter, les ennemis du prêt à penser, les détartreurs de tuyauterie sociale.
    Les Besancenot, Bové, Cohn-Bendit, De Luca,  Mélanchon, Rabhi, et en leur temps les Voltaire, Diderot, Zola, Camus, Dumont, Desproges, Coluche*...
    Quelles que soient leur partialité, leur mauvaise foi ou leur part d'ombre éventuelles, même s'ils nous agacent ou nous indisposent, nous avons besoin d'eux. Car sans ces ludions de l'esprit l'air deviendrait irrrespirable. Nous serions bientôt asphyxiés par les gaz de l'ultra-libéralisme, les miasmes de l'écolo-scepticisme, les remugles politiques, les vapeurs insidieuses et toxiques de l'hypermercantilisme (là, vous avez le droit de m'allumer pour abus de mots en -isme).
    Et si un jour cette race de moustiques s'éteint, si le monde n'est plus peuplé que de gentils indifférents, de consommateurs lobotomisés, de petits caporaux au garde à vous et d'hommes d'affaires à canines effilées, j'espère que j'aurai fait mes valises pour le voyage sans retour.

*J'y mêlerais bien la voix de femmes comme Éva Joly, Naomi Klein, Chantal Jouanno,...

dimanche 28 juin 2015

SANS TITRE

    Quarante-huit heures de silence, parce que ma dérision ne résiste pas à un certain degré d'ignominie. Il y a un point où l'incompréhension et la meurtrissure empêchent tout humour.
    Je ne suis pas du style à relire régulièrement les grandes oeuvres du passé -je n'arrive déjà pas à lire le quart de ce que je voudrais- mais je ressens tout à coup l'envie de feuilleter Voltaire (que j'apprécie) et Diderot (que j'aime), histoire de me convaincre que la barbarie et l'intolérance sont inaccessibles à l'esprit d'un honnête homme.
    L'aveuglement qui amène à couper des têtes pour des raisons religieuses me semblent relever de la même aberration que celle des foules nazifiées, et me fait autant horreur que l'inhumanité de l'inquisition.
    Quel Dieu misérable pourrait commander le meurtre comme mode d'évangélisation ? Ou alors, s'agit-il de banditisme, de crapulerie, masqués en guerre sainte ?
    Écoeurement.

vendredi 26 juin 2015

OH, LA VILAINE !

    Jésumarijosef, bien sûr que je fulmine, que je réagis et rugis au quart de tour, mais j'évite de donner des leçons, alourdi par le poids de mes propres péchés et de mes discrètes turpitudes. Enfin, je fais du mieux que je peux et quoi que je pusse -tiens, tout à coup ça me gratte- ce n'est jamais assez.
    Pourquoi ce préambule vaseux ? Oh, juste un petit renvoi aigre, une bouffée de dégoûtation chargée d'amers relents  : vu l'âge canonique que j'ai atteint hier (64 livres, comme les obus du fameux Riffled Muzzle angliche !) j'en ai entendu(s) des donneurs de leçons, des prêcheurs de bien-pensance pour les autres, des vertus effarouchées qui se distrayaient à petit bruit derrière les rideaux de la dignité publique.
   C'est une race inextinguible, coriace et active depuis la nuit des temps : souvenez-vous comme Molière les a allumés dans Tartuffe et Dom Juan... Dès le jardin d'enfants j'ai éprouvé une aversion suspicieuse pour tous les indignés de la zigounette qui flétrissent la moindre activité érotique et l'appareil qui permet de la pratiquer ; il n'y a pas comme les fous de Dieu pour se ménager un petit harem d'esclaves sexuel(le)s, pendant que leurs légitimes sont priées de se cacher, elles, ces catins provocatrices dont les appas provoquent d'excusables pulsions chez l'homme !
   Et je n'ai jamais pensé beaucoup plus de bien de ceux qui venaient nous exhorter, avec des mots enflammés, à la tempérance, l'économie, la modération, l'humilité et la droiture. J'aurais été plus convaincu par ce qu'ils auraient prouvé à travers leurs actes, mais là j'aurais pu attendre longtemps.
    Dernier exemple en date de ces tartuffades -Auvergne, il y a ta truffade délicieuse ! mais ça n'a aucun rapport- les indignations de madame Lagarde, presque à court de mots pour fustiger les vilains Grecs qui carottent le fisc (certes, sport national) et pourtant dispensée, selon Le Monde, de payer le moindre maravedis, en qualité de fonctionnaire international, sur ses revenus de 380 000 euros...
    Arrivé à ce stade de la compétition, je chope mon morey et je me casse, même si il n'y a pas l'ombre d'une vague à l'horizon. DMOS

PSG* :
    Je craque : outre les pléonasmes prononcés avec délectation à la radio, tels que mais toutefois, mais cependant, incessamment sous peu, voilà que le pronom il vient de décéder dans l'expression présentative il y a. Même dans la bouche de personnes qui se targuent de beau langage.
    J'ai l'impression d'être en Allemagne : ya un problème, ya besoin de réformes, ya deux solutions... Ceci dit, venant d'un type qui a appelé son blog yadupeku, cette remarque est assez gonflée.
*Post scriptum gratuit.

mercredi 24 juin 2015

CONCHITO SAUCISSE

    Il y a peu, je vous laissais entendre que même pour obtenir 700 000 followers je n'étais pas prêt à dénaturer ce physique que tous les centenaires m'envient. Malgré tout je n'ai pas pu empêcher la petite souris qui trotte dans mon cerveau d'aller son chemin et je me suis dit que si je devais, un jour, céder aux sirènes de la superficialité, je ne chercherai pas à m'approcher de l'icône nabillesque -en raison de mon allergie au silicone- mais j'essaierai de cultiver l'indétermination générique, l'hermaphrodisme, afin de devenir le premier romancier trans.
    Bien entendu je prendrai un pseudonyme ; Conchito Saucisse, outre qu'il fait référence à une star mondiale, me paraît d'une poésie délicieuse, ouvrant un champ infini à des jeux de mots d'une grande délicatesse.
    Je peux teindre ma barbe et me perruquer, arrêter le vélo pour que mes mollets se démusclent et le surf-kayak pour réduire mes épaules, flûter ma voix et laisser pousser mes ongles. Toutefois j'ai quelques réticences à exprimer : quand je vois le temps que passe ma femme à se maquiller (et à se démaquiller) j'ai déjà des impatiences au bout des doigts ; j'adore marcher en nus-pieds et j'angoisse un peu de passer de la tong aux talons aiguilles ; l'épilation totale, notamment des parties géniales -vous croyez que j'ai oublié un t ?-, je ne la sens pas bien.
    Maintenant, une solution serait que vous me fassiez une pub démente et que le téléphone à rab' provoque un tsunami de curiosité... Je vous promets qu'à l'instant où j'aurais plus de suiveurs de mon blog que Nab je twitte au président.

PS : Pour ceux qui ont des petits creux dans la journée, n'oubliez pas MA GUEULE OUVERTE, à déguster sur  http://www.youscribe.com/catalogue/tous/litterature/autres/ma-gueule-ouverte-2576863

mardi 23 juin 2015

SCROGNEUGNEU

    Jésumarijosef, je le savais... Je me doutais que ma zénitude, chèrement acquise au prix de réveils dès potron-minet et de caillettes matutinales sur les berges de ma rivière auvergnate, ne durerait pas.
    Je l'admets, j'ai commis une erreur technique : après avoir ouï les informations sur France Culture -lesquelles m'avaient laissé de marbre- j'ai eu la sotte idée d'écouter les imitations de Laurent Gerra sur RTL, et, cédant au plaisir du brin de vaisselle du ptidèj (ma vie domestique est absolument passionnante) je n'ai pas changé de chaîne !
    La bévue, l'impair, le pas de clerc (et non pas de leclerc) : ainsi va le monde, certaines nouvelles tirent l'ire* du quidam auditeur et me voilà tempêtant (je me suis promis la continence dans le jeu de mots, mais là ça me chatouille furieusement) contre la dénaturation du financement participatif.
    Je m'étais déjà indigné de la campagne du musée de Lyon pour acquérir une toile (ÉPANCHEMENT D'ACRIMONIE, 12 février 2015), voici que pour financer sa candidature aux jeux olympiques [six millions pour aboutir à la présentation du dossier !] Paris va recourir au crowdfunding -Vaugelas et Littré, pardonnez moi cet anglicisme !
    Comme toujours, nous risquons de voir les gros dévorer et les petits picorer les miettes du festin ; le financement participatif c'est la seule opportunité pour les modestes et les débutants de mener à bien un projet. Ayant l'esprit mal placé, je crains que les sources ne se tarissent pour les petits entrepreneurs du culturel... laissons-leur l'usage du financement solidaire. Les gros appétits disposeront toujours du mécénat.
    Sur ce, je mâchais et remâchais ma révolte lorsque j'ai entendu parler d'un fait divers qui m'a rendu le sourire : un fondu de première, monté sur un pylône d'une ligne à haute tension pour réclamer le retour du général De Gaulle. Moi, je serais prêt -le jour où je serai fou comme un âne qui a une guêpe dans le croupion- à grimpercher sur des caténaires pour obtenir le retour de Camus et de Desproges.
    Allez, je prends mon morey sans conviction (plusieurs jours de pétole) et je me casse. DMOS

*D'où la parole est d'argent.

lundi 22 juin 2015

LE REVENU

    Mes chers petits vampires, grâce à vous je viens d'enregistrer un encéphalogramme plat de toute beauté (je parle de mon graphique du nombre de vues quotidiennes) ; je suppose que vous étiez perdu dans la lecture de MA GUEULE OUVERTE...
    Treize jours sans la moindre éructation littéraire, la moindre foucade stylistique : vous avez cru que j'avais cassé ma pipe, que j'étais parti chez les Trappistes, que j'étais atteint de panne textuelle.    
    Mazette, comme vous y allez : je suivais un séminaire de pêche à la truite en Margeride, pays de la bête du Gévaudan (heureusement, moi j'ai les miennes), où j'ai pu méditer sur la relativité de la notion de froid au lever du jour auvergnat, quand le brouillard vous enveloppe de son manteau de grisaille et que vous rentrez dans l'eau jusqu'aux fesses pour récupérer votre cuiller (leurre pour carnassiers, l'autre c'est plutôt pour la pêche melba).
    Me voilà revenu (un pot, imaginez que je sois resté là-haut !*) et décidé à en découdre avec l'Adversité sournoise aux ailes de chauve-souris et au sourire de cafard [je devrais me méfier, je commence à écrire comme certains auteurs à la mode]. Ainsi, l'apparition mondiale du film MASSACRE A LA TRONCHONNEUSE, maintenant agrémenté d'excellentes musiques, n'attend plus que la disponibilité du diffuseur (mon grand fiston) ; par ailleurs, mon nouveau roman est toujours orphelin de sa page de couverture, mais nous prévoyons bien une parution fin octobre.
    Allez je compte sur vous pour faire remonter ma courbe des vues journalières ; en revanche, même si je n'ai pas les 700 000 abonnés de Nabilla, ne comptez pas sur moi pour me faire greffer une paire de miches king size et raboter un peu de cerveau. Quant à un lifting, peau de lapin ! DMOS

* Un pot sur le revenu : c'est nul, mais j'ai des circonstances atténuantes, je reviens de vacances.

mardi 9 juin 2015

NOTE A BENNER (2)

D'abord, pour ceux qui n'ont pas compris le jeu de mots du titre, je traduis : "note à jeter", contrairement à un nota bene !

Ensuite, je signale à ceux qui se jettent sur mes articles à peine sortis du four, que j'ai besoin de les AFFICHER pour apercevoir les fautes ; donc si vous les lisez avant que je l'aie fait (deux, trois fois certains jours) c'est à vos risques et périls...
S'il devait rester des erreurs, vous pouvez toujours me les indiquer dans un commentaire.

Enfin, pour les lecteurs récents, s'ils deviennent des visiteurs réguliers ils deviendront eux aussi mes "chers petits vampires", expression qui m'est venue en constatant que dès que je reste quelques jours sans publier je n'ai quasiment plus de visites. Ainsi mes lecteurs ont besoin de sang frais et dès qu'ils se sont abreuvés ils abandonnent ma dépouille exsangue, indifférents, à moins qu'ils ne sentent l'odeur d'une nouvelle hémoglobine littéraire !

CEUX DE LA LÉGION...

    Jésumarijosef, j'étais en train de préparer benoitement mes affaires pour un séjour de pêche en Auvergne quand parvint à mes esgourdes l'information ulcérante, la nouvelle farcie au piment Scorpion, la bouchée médiatique qui provoque instantanément les brûlures d'estomac : la légion d'honneur à M. Akbar al-Baker, PDG de Qatar Airways.
    Déjà un nom qui fait écho à Abd el Kader et toute sa smala... et n'allez pas croire que son état de Qatari m'irrite ; il serait guatémaltèque, béninois ou suisse, ce serait itou.
    Non, l'arête dans ma gorge c'est cette notion de "mérite civil", le truc qui motive l'attribution de la décoration. J'ai quelque mal à en saisir les contours : la plus haute distinction française parce qu'on a acheté des avions...
    Maintenant, ce qui est bien avec l'attribution de cette médaille c'est qu'elle libère à intervalles réguliers mon petit jet de vapeur humoural, ma malheureuse épouse attendant avec impavidité que ma routinière indignation s'évacue dans un discours usé jusqu'à la trame.
    Mais, qu'y puis-je ? Il suffit que j'aille regarder la Croix de guerre 14-18 de mon grand-père Henri - un de mes trésors- pour fulminer (il y a quarante ans je fus le minet, niçois) et pour me navrer de la Légion d'honneur de Stallone, laquelle fut pour moi l'occasion d'un brame décennal dans ma cuisine et d'une incompréhension complète.
    Je repense même, je ne sais pourquoi,  à d'anciens collègues bouffis de suffisance de pouvoir arborer les Palmes Académiques ; dans ce cas, soit je me permettais un ignoble jeu de mots -je n'ai pas besoin de vous faire un dessin- soit je signalais que les gens intelligents comme Camus et Prévert étaient contre toute forme de décoration et que Marcel Aymé avait envoyé paître ceux qui lui offraient la Légion d'honneur avec une invitation à se "la carrer dans le train" de fameuse mémoire.
    Sur ce, moi qui n'ai même pas une médaille de la vierge, je vais ranger mon morey et me casser dans le Cantal où l'on ne surfe pas souvent. DMOS

jeudi 4 juin 2015

SPORTOPHOBIE

    Jésumarijosef, on peut me soupçonner de bien des turpitudes (sieste devant l'inspecteur Barnaby, lecture vespérale et réitérée de Jean-Marc Sylvestre, matage de jolies plastiques au bord de mer)  mais pas de mépriser le sport (vélo tous les jours, kayak chaque semaine, escalade dès que je le peux). Outre ma plastique d'Apollon -à poils longs ?-sexagénaire, il m'offre la détente, la zénitude (là, ma femme est sceptique), un appétit jamais en défaut et parfois -quand je surfe- la trompeuse sensation que j'ai trente balais (le lendemain le balai dans mon dos raidi me ramène à une plus juste appréciation de mon âge) ; ce nonobstant,  le sport me sort des yeux, m'insupporte et me fait vomir. Je parle évidemment de ce qu'on considère comme tel dans tous les médias : le spectacle monté en chantilly et nappé de la sauce hyperbolique de journalistes spécialisés.
    Depuis le début de l'année je n'ai vu qu'un match : Toulon-Clermont, parce qu'ici on vit au rythme du RCT. En revanche, le foot, le tennis et tout le toutim, macache, nib, peanuts, que dalle !
    Oh, le vilain garçon ! me direz-vous ; certes, mais ma colère, pas (jeu de mots pour océanographe, si le taxi folie a)... Comment ne pas rugir quand on a vu les terres agricoles avalées par le grand stade de Lyon, ne pas vociférer lorsqu'ont disparu les champs de blette de la plaine du Var pour le même motif (ah, la tarte de blette niçoise !), ne pas ululer comme un dingue à chaque fois que Roland-Garros bouffe un morceau de Bois de Boulogne.
    D'ici je vous entends penser " Hou, le petit canaillou anti-progrès" ! Et vous pouvez rajouter, gros jaloux, parce que quand je pense à tous mes amis et parents artistes qui se font tailler en pièces en ce moment j'ai la bouffaïsse, comme on disait dans le quartier du port.
    Soyons honnêtes, au bout d'une heure de tennis je craque : imaginez, les gars prennent le temps de s'essuyer, de boire, de manger, de s'asseoir, de faire rebondir la chose jaune et sphérique, de balayer le sol de la semelle, de discuter avec l'arbitre, de se faire masser, de se faire jeter des serviettes. Tout juste s'ils ne vont pas au goguenot. Trois heures de cela et je deviens fou.
    Allez, je crois que je vais prendre mon morey et me casser à la plage, même si je dois attendre huit jours les bonnes vagues. DMOS

mardi 2 juin 2015

DÉVASTATION



DÉVASTATION




            Ce n’était qu’un tout petit rien. Un dimanche soir Claire, sa femme, est revenue d’un triathlon qu’elle avait terminé à la neuvième place, le dos cassé, les muscles courbaturés. Il l’a longuement massée avant qu’elle ne s’endorme.
            Le lendemain soir, comme elle souffrait toujours, il l’a de nouveau massée ; son corps musculeux et pourtant si harmonieux était très tendu, mais à force de brasser il l’a détendue, à l’exception des muscles lombaires. Le matin suivant la douleur s’était accrue et elle a  décidé d’aller voir son ostéopathe, lequel, intrigué de n’avoir pu la soulager, l’orienta vers un rhumatologue.
            C’est lui qui a demandé des examens. Chaque seconde du moment passé dans le cabinet du spécialiste est inscrite dans sa mémoire : les grandes enveloppes que le médecin s’était fait adresser directement, ouvertes sans déchirures ; son visage et son regard qu’il avait vidés de toute expression. Et lui, son effondrement intérieur quand il a fini par comprendre, ses coups d’œil, à la dérobée, à sa femme qui ne bougeait pas, même un cil.
            Comment avait-il pu rester là sans hurler ? Comment peut-on avaler une pareille nouvelle et comment peut-on la dire sans y glisser l’ombre d’un espoir, même s’il n’y en a aucun ?  
            Cancer des poumons et des reins ; espérance de vie, un an maximum.
            Il a résisté à l’envie de prendre la main de Claire : il se serait effondré. En sortant de la pièce il a eu un geste, mais elle lui a dit : « Attends ! »
            A la maison, elle s’est enfermée dans la chambre à coucher et il l’a entendue pleurer, longtemps. Enfin, elle est sortie, partie un moment dans la salle de bains avant de le rejoindre dans le salon, remaquillée, belle comme une brume d’été, désirable et fragile dans sa nuisette. Elle s’est couchée sur le divan, ses genoux à lui comme oreiller, puis a fermé les yeux tandis qu’il caressait ses cheveux blonds, son visage ; et alors, alors seulement, il s’est mis à pleurer, en silence, sans pouvoir s’arrêter.
            Claire avait abandonné son travail mais pas le sport ; les médicaments neutralisant les douleurs, elle avait continué à courir, à nager et à pédaler. Après avoir consulté plusieurs spécialistes, convaincue de ne pas s’en sortir, elle avait refusé tout traitement à l’exception des calmants.
            Il avait, quand elle était à la maison, une femme adorable, attentionnée, un instant séduisante, le suivant émouvante. Elle lui offrit des moments d’abandon et de délicatesse, jusqu’à un matin où elle partit avec sa combinaison, ses lunettes et ses palmes. Les plongeurs la retrouvèrent par six mètres de fond, très loin de la plage où était garée sa mini ; depuis, il a donné son matériel, sa voiture, mais il a conservé le petit sac étanche où elle gardait ses clés.
            Son dernier cadeau, involontaire, à la morgue pour l’identification : son corps ciselé, intact, à peine maigri, son visage lisse et serein. Il se souvient de son dernier baiser, avant qu’elle parte avec son sac de plongée sur l’épaule.
            Deux ans déjà. Il se demande souvent s’il aurait le courage de mourir avec cette élégance. Hormis le petit sac et quelques photos serrées dans son portefeuille, il a donné ou jeté tous les objets qu’elle avait laissés derrière elle ; c’étaient autant de mines prêtes à exploser, à le cribler de leurs éclats d’émotion et de peine. Aujourd’hui, il ne vit plus que dans son travail, la seule envie qui le tient encore debout. Il s’appelle Eric Edner.






CHAPITRE I



            Ce n’était qu’un tout petit rien, un point minuscule dans l’espace, une poussière dans le fouillis d’étoiles, mais Edner fut le premier à le remarquer.
            Il était presque minuit, ce soir du 16 juin 2051. Il aurait dû être à la maison mais même au bout de deux ans il avait encore du mal à supporter l’appartement vidé de la présence de Claire. Et puis il aimait bien l’atmosphère de l’observatoire à la nuit tombée, la compagnie de sa collègue Hélène Burns, un peu masculine, directe,  pète-sec, compétente et chaleureuse.
            La mort de Claire avait raréfié les amis, et comme Eric ne s’était pas senti de chercher une liaison sentimentale, Hélène était devenue une pierre dans son gué, un point d’ancrage face au vide de sa vie altérée, pas assez attirante pour troubler sa libido qu’il ne tenait pas à réveiller, mais suffisamment féminine et bienveillante pour lui fournir un peu de la chaleur qu’il ne trouvait plus à la maison. Il se fichait de savoir si elle avait un ami ou si elle était lesbienne. Il consommait l’humanité qui rayonnait d’elle et allait jusqu’à apprécier ses remarques tranchantes, ses recadrages, aussi vigoureux que sous-tendus d’aménité.
            L’équipe de l’observatoire étant réduite, leurs horaires se chevauchaient assez souvent ; quand elle n’était pas là il se résignait à rentrer, son service fini.
            Il y avait aussi Husky, l’électronicien, de son vrai nom Jack Hurt, auxquels ses cheveux prématurément gris et ses yeux bleus très clairs valaient ce sobriquet qu’il accueillait avec le détachement d’un philosophe pyrrhonien. Husky ne calait jamais devant une panne, pas plus qu’il ne riait, bien qu’il parsemât sa présence de petites vannes en chapelets.
            Hélène était une remarquable scrutatrice, pourtant Eric fut le premier à détecter l’infime corps céleste.
            Enfin… infime ce soir-là, car deux nuits après la première observation il fut assez visible pour permettre un cliché que Rick –personne ne l’appelait autrement- expédia à diverses autorités, réclamant la dénomination d’Ednéria pour son caillou, au cas où il se laisserait satelliser dans le système solaire. 
            Quelques temps plus tard, le 25 juin, sous les objectifs de tous les télescopes terriens, le corps céleste interrompit sa course à quelques encablures de la couronne de déchets et d’instruments spatiaux qui gravitait autour de la Terre.
            Les astronomes étaient dans un état de surexcitation fébrile et certains planifiaient déjà l’envoi de sondes exploratrices ; les politiques et les militaires étaient sur les dents, ni inspirés quant à une action, ni rassurés par les supputations scientifiques. Le reste de la population considérait l’évènement avec à peine plus de passion que toutes les fadaises quotidiennes que déversait sur eux le niagara médiatique.
            Un soir que Rick se noyait dans l’incertitude en observant les images satellite d’Ednéria et en écoutant les commentaires tranchants d’Hélène Burns, un homme en complet veston, taillé comme un orang-outan, débarqua dans leur salle.
            - M’sieur Edner ?
            - Oui, dit-il en faisant pivoter son fauteuil.
            - John Erdrich, agent  de liaison auprès du gouvernement.
            Chaque mot était prononcé avec  une sorte de lassitude désabusée et Rick, irrité, tenta une saillie.
            - Washington me demande ?
           - Nous ne sommes pas dans un téléfilm. Comme vous êtes le découvreur de ce caillou de merde, on vous accorde une certaine légitimité. Je viens donc à la pêche aux infos : comment vous vous êtes rendu compte du truc, les modifications que vous avez notées, votre analyse du machin…
            - Vous avez une formation scientifique ?
            - Pas que je sache…
          - C’est parfait pour ce que j’ai à vous dire : il y a deux anomalies liées à cet astéroïde qui peuvent inquiéter. D’abord, la découverte d’un nouveau corps céleste résulte en général d’un perfectionnement des instruments ; or là, mon bon vieux Hooker n’a bénéficié d’aucun changement depuis des années ; en fait, Ednéria s’est matérialisée d’un coup, sans qu’on l’ait vue arriver, alors que nos télescopes fouillent les étoiles bien au-delà de son point d’apparition.
            Ensuite, un aérolithe qui freine, comme une voiture à un feu rouge, à distance d’observation de la Terre, ça ne s’est jamais vu ; ce genre de monstre ça a une trajectoire, ça file ; ça ignore, ça frôle ou ça emboutit les obstacles sur son chemin, mais ça ne met pas le frein à main. Ca change tout juste de vitesse selon les atmosphères traversées.
            Alors ma conclusion est simple : si j’étais vous, j’enverrai une sonde voyageuse pour nous faire un joli film et, après étude du document, une deuxième sonde pour aller prélever des échantillons. Surtout, pas d’exploration humaine avant ces actions préalables.
            - Oh, vu les budgets, ça risque pas…
            - Voilà, monsieur Erdrich, tout ce que je peux vous dire.
            - Bien. Nous nous reverrons, monsieur Edner.
            L’orang-outan leur tourna le dos et s’en alla. Hélène Burns lui cria :
            - Et surtout, fermez les portes derrière vous !
            Comme il acquiesçait avec un grognement, Hélène ne put se retenir d’un commentaire.
            - Lui, c’est un malin qui joue à l’australopithèque. Il fait l’âne pour avoir du son !
*
            Dans une réunion extraordinaire du conseil restreint des Nations Unies les coups pleuvaient ; cette cellule était constituée, pour chaque délégation, du président ou son vice-président, du chef d’état-major et d’un ministre, finances ou budget. Etaient représentés par un de ces trios, les USA, la Grande-Bretagne, la Chine, la France, l’Allemagne, le Brésil, le Japon, l’Australie et la Russie. Etaient exclus tous ceux qui n’avaient pas les puissances économiques, politiques, militaires et spatiales. L’Inde protestait vigoureusement face à son exclusion.
          Epaulés par les britanniques, et le consentement muet des Chinois, les américains voulaient fourbir leurs missiles et pulvériser le caillou ; les autres étaient d’avis de diligenter une mission pour étudier Ednéria, les Russes et les Japonais rajoutant que, le corps céleste pouvant recéler des minerais précieux, mettre en poussière une telle opportunité témoignait d’un sens commercial émoussé.
            Au bout de trois heures d’emportements, de mauvaise foi, d’indignations et de menaces diverses, on créa une commission de surveillance internationale constituée de neuf membres –un par nation- et on mit en alerte maximum tous les observatoires et les armées.
            La commission de surveillance se réunit le 9 juillet et demanda les crédits pour une exploration avec prélèvements miniers, par sonde voyageuse. Il n’y eut pas d’autre réunion : les évènements de la nuit du 13 au 14 brouillèrent à ce point les cartes que le conseil restreint des Nations Unies reprit la main sans atermoiements.







CHAPITRE II




            Le 14 juillet, un peu avant une heure du matin, Rick Edner fut tiré du sommeil par une amie parisienne -il était français par sa mère- qui, à en croire le second plan sonore de sa conversation, commençait à fêter avec énergie l’anniversaire de la révolution. Rick était moins tonique car il s’était glissé dans les draps une quarantaine de minutes auparavant et se sentait comme un apnéiste des profondeurs qu’on arracherait à l’eau au milieu de sa descente.
            Mélanie était une fille sympathique qui l’hébergeait quand il venait à Paris, mais là, le cocktail de sa voix hystérique et de la cacophonie du fond ambiant lui vrillait les tempes, et une envie urgente de claquer son portable le submergea.
            Son réveil affichait une heure pile. Alors qu’il supputait les stratégies possibles pour rompre l’entretien, à une heure du matin affichée sur son radio réveil, la voix de Mélanie disparut puis, après un bref grésillement, un air de jazz  s’éleva de son portable. Au même instant son téléviseur et son écran d’ordinateur s’allumèrent, diffusant la même musique. En fait, dans tous les pays du monde, tous les appareils capables de recevoir et de transmettre un message venaient de se mettre en marche, sans sollicitation humaine.
          Enfin, au bout du premier refrain la voix d’Errol Garner s’éteignit, remplacée par une autre, au timbre étrange, qui entama un discours en italien.
            « Buongiorno a tutti ; mi chiamo Idoskor… » Rick qui, à la suite d’une lubie de sa mère, avait étudié l’italien et profité de deux mois de séjour d’immersion, put traduire, même linguistiquement rouillé et physiologiquement somnolent, grâce à la lenteur du phrasé.
            « Bonjour à tous, je m’appelle Idoskor, écrivain extra-terrestre, un des cinq responsables de notre expédition TERRE. L’astéroïde que vous voyez est en réalité notre vaisseau-base d’exploration. Ne tentez pas de manœuvre d’approche. Une communication comme celle-ci vous précisera demain, à la même heure, nos intentions : vous vous tiendrez prêts à écouter Disonkor, notre dignitaire, qui dirige la mission. Bonne nuit à tous. »
            Rick ne put s’empêcher de sourire à l’incongruité de la dernière phrase.

*

            Dans le bureau ovale de la Maison Blanche le général Lester, chef d’état-major, fulminait.
            - Qu’est-ce que c’est que ces foutaises… Je vais faire tracer l’appel et envoyer le connard qui a inventé cette plaisanterie dans une cellule capitonnée !
            - Mais, général, il parlait italien…
            - Alors, téléphonez au président Ranieri et dites-lui de se remuer pour trouver ce crétin !
            - Je ne vais pas appeler mon collègue italien, général (le président, abîmé dans ses réflexions depuis un moment, avait élevé la voix sans brutalité), parce que la prononciation n’avait rien de naturel et qu’aussi bien on doit ce discours à un Irlandais. Par contre, je veux d’ici six heures GMT l’identité de ce perturbateur et comment il a fait pour parasiter tous nos appareils. Messieurs, au travail !
            Quatre heures plus tard tous les responsables revinrent bredouilles, la mine dépitée. 
            Le président examina tous ces hommes de sous ses sourcils.
            - Messieurs, je vous écoute, et ne m’amenez pas à penser que tout l’argent que vos administrations dévorent représente un investissement improductif.
            Le visage pâle, le patron de la NSA s’avança.
            - Monsieur le président…
            - A l’essentiel, Humphrey, à l’essentiel !
          - Bien. Nous sommes certains que l’homme qui parlait n’est pas italien ; nos linguistes sont formels : la langue est grammaticalement parfaite, la prononciation impeccable, mais aucun Italien n’aurait discouru avec un phrasé aussi lent, et ses accents toniques avaient quelque chose de mécanique.
            - Donc vous ne pouvez même pas déterminer l’origine de notre orateur… Et le traçage de cet appel ?
            - Nos meilleurs appareils n’étaient pas en fonction ; nous n’avons aucun indice précis car ceux qui marchaient ont été comme brouillés. Nos électroniciens admettent que rien n’est impossible techniquement mais ne comprennent pas comment ce type a pu investir tous les réseaux, partout dans le monde.
            - Nous avons nous-mêmes tissé la toile qu’il a empruntée… Bon, à présent je sais que nous ne savons rien… Et la piste extra-terrestre, puisqu’il se prétend tel ? Général Lester…
            - Foutaises. Nous sommes persuadés qu’il s’agit d’un pirate, d’un de ces petits génies qui se croient malins en bidouillant des conneries et qui démolissent le travail des gens sérieux. Il n’y a pas plus d’extra-terrestres sur ce foutu caillou que de vaseline sur mon cul ! Dans l’hypothèse où ce rigolo tiendrait sa parole, demain à une heure du matin tous nos moyens de repérage seront en éveil ; des satellites seront redéployés et des avions radars spéciaux patrouilleront dans la haute atmosphère. Monsieur, nous le prendrons par les couilles et nous lui feront regretter sa petite plaisanterie !
            - Petite…
            Le président gardait un flegme ironique tandis que les deux patrons de la CIA et de la NSA se bidonnaient en douce.
            - …que de vaseline sur mon cul : mortel !
            - Il paraît que c’est un très bon chef, compétent et plutôt intelligent.
        - Alors pourquoi s’ingénie-t-il à parler comme un sergent instructeur des Marines ?
            - Je ne sais pas, un besoin d’image, un complexe à combattre… va savoir.
            En se levant le président interrompit tous les chuchotements.
            - Comme aucune piste n’est avérée, autant attendre ce supposé appel de la nuit prochaine ; malgré tout, je veux que d’ici là vous m’envoyiez deux sondes vers la face cachée de ce vaisseau-astéroïde, histoire d’avoir un os à ronger. Selon la réalité de l’appel et son contenu, je convoquerai la cellule d’urgence. Messieurs… 

*

            En réalité, ce furent cinq sondes qui se dirigèrent vers Ednéria dans la mesure où les Chinois, les Européens et les Russes furent tout autant titillés de curiosité que le président américain.
            Donc, et dans un ordre relatif, les cinq engins atteignirent l’astéroïde et, chacun son tour, cessèrent d’émettre, sans même réapparaître à la fin de leur demi-orbite autour du côté sombre d’Ednéria, comme si elles s’étaient volatilisées.
            Du coup, dans les pays concernés par ces initiatives, on attendit le futur message avec un fond d’anxiété.
            Le 15 juillet à une heure du matin Rick était de service à l’observatoire, maintenu parfaitement éveillé par une série de cafés et l’excitation dans les paroles d’Hélène Burns commentant sans s’épuiser la disparition des sondes américaines. Son flot s’arrêta net à l’instant où tous les écrans d’ordinateur, tout ce qui pouvait diffuser une image, après un bref décrochage, affichèrent une silhouette en plan braguette dont la définition se précisa en quelques secondes.
            C’était un homme au très long buste, habillé d’un vêtement gris bleu indéfinissable. Son visage frappait : beau quoique de proportions inhabituelles ; le teint brun mauve comme certaines améthystes ; les yeux, aux paupières très foncées, animés par un iris ovale, sans pupille apparente, d’une nuance proche de celle du visage et parcouru d’une ombre dorée.
            « Sono Disenkor… » et cet italien qui manquait de timbre s’éleva de tous les écrans, de tous les téléphones, des tous les micros, de toutes les ferrailles qui pouvaient faire antenne. Pas un seul habitant de  la Terre ne dormait ; il était impossible d’échapper à la voix nette mais atone. Hormis en Italie, les traducteurs, humains et artificiels, s’activaient.
            « … je suis le chef de l’expédition TERRE. Sachez que nos intentions ne sont ni pacifiques, ni belliqueuses. Notre planète d’origine, bien trop éloignée pour que vous puissiez la localiser avec vos instruments grossiers, porte un nom que vous jugeriez imprononçable et que nous simplifierons en Kor. La planète Kor, donc, est dix fois plus petite que la Terre et, malheureusement, en grande partie stérile. Les paysages sont désertiques et plats, à l’exception d’une zone de reliefs de mille kilomètres carrés où sont concentrés tous les végétaux ; c’est un sanctuaire que seuls quelques gardes ont le droit d’arpenter. Pour tous les autres Koriens quatre observatoires ont été aménagés en limite du parc. Chacun de nous voue à la Nature une passion telle qu’il accepte de n’accéder à ces belvédères que sur liste d’attente.
            Le jour où nos ingénieurs physiciens ont résolu le problème du déplacement instantané, nous avons commencé une exploration systématique de l’univers à la recherche d’une planète végétalisée.
            Il y a sept ans nous avons découvert la Terre ; depuis, il nous a fallu le temps de vous observer, de vous étudier et d’élaborer notre projet : à présent nous sommes là, décidés à faire de cette planète notre paradis de verdure.
             Notre rôle est d’installer ce projet, selon des modalités dont nous traiterons dans la salle d’apparat du palazzo Pubblico à Sienne, le 20 juillet à une heure du matin, avec le plus haut représentant de chacun des pays suivants : Bhoutan, Italie, France, Papouasie, Tibet, Tanzanie, Nauru, Zaïre, Tonga, Nunavut, Oman, Brésil, Argentine, Egypte, Allemagne, Iran, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Inde, Japon, Russie, Angleterre, USA et Chine. A l’exception de toute autre personne. 
            Notre délégation sera composée des cinq responsables de la mission ; notre vaisseau se posera sur la Piazza del Campo que vous aurez rendue déserte avant notre arrivée. »
            La communication fut interrompue là, sans formule de politesse et tous les écrans du monde retrouvèrent leurs représentations ordinaires.
            Dans les minutes qui suivirent la fin de cette allocution, la cellule de crise se réunissait à la Maison blanche. Une barre soucieuse plissait le front du président.
            - Alors, messieurs, s’agit-il encore d’un canular ? Qu’est-ce que vos appareils espions ont à nous dire ?
            Le patron de la NSA intervint.
            - Nos spécialistes sont formels : les émissions venaient de ce caillou à moins, hypothèse de certains, qu’un pirate ait utilisé des satellites orbitant à proximité. Un dernier a proposé que, dans la mesure où nous ne connaissons pas les caractéristiques minérales de l’astéroïde, le pirate l’ait employé comme une sorte de réflecteur des communications…
            - Bien, et vous général Lester ?
           - Notre étude des ondes corrobore les résultats de la NSA ; à titre personnel je continue à croire à une mystification d’un connard de génie et je pense que nous devrions envoyer quelques missiles pour réduire en miettes ce foutu caillou : ce serait déjà un problème de réglé.
            - J’enregistre la proposition, général ; dans l’immédiat je vais me contenter de préparer un voyage à Sienne. S’il s’agit d’une farce je ferai un peu de tourisme ; dans le cas contraire, nous verrons.
           
            Les journalistes étaient sur les dents, surmenés par la gestion de ce buzz du siècle ; le plus surprenant pour eux était l’absence de panique dans les populations. Certes, de nombreux citoyens, à l’image du général Lester, croyaient dur comme fer à une plaisanterie d’une sorte d’Orson Welles de la télétransmission, mais même ceux qui avaient un doute continuaient à vivre sans broncher, soit qu’ils étaient incapables de s’extraire des obligations du quotidien, soit qu’ils étaient suffisamment philosophes pour réaliser que s’ils devaient un jour être écrasés, que ce fût  à la maison ou dans un abri supposé ne faisait aucune différence.
            Le discours du Korien n’entraîna que de rares effets collatéraux : apparition de clubs et de sectes des Amis de la planète Kor ; des petits malins qui lancèrent des start-up d’abris anti extra-terrestres ; quelques dépressifs qui saisirent le prétexte d’une invasion pour un suicide anticipé. 
            Quand l’horloge de la basilique San Domenico sonna une heure, le monde presque entier était éveillé ; la plazza del Campo avait été désertifiée et les représentants des vingt-cinq pays attendaient, assis dans la grande salle du palais, se demandant dans quelles proportions ils allaient se rendre ridicules. Car depuis le début de la nuit, tout ce que la Terre comptait d’instruments de repérage et d’observation étaient tournés vers Ednéria, sans avoir perçu le moindre mouvement, le plus infime indice d’un déplacement dans l’espace.







CHAPITRE III





            Et pourtant, à l’heure exacte, un appareil qui n’avait rien d’extraordinaire, quelque chose comme un northrop B2 spirit gris clair, se matérialisa au-dessus de la place vide avant d’atterrir dans un bruit feutré.
            Les yeux du monde s’écarquillèrent : une porte latérale s’abaissa pour devenir une banale rampe et, presque aussitôt, cinq silhouettes apparurent, marchant vers l’unique huissier –italien- qui avait été autorisé à pénétrer l’aire  d’atterrissage pour accueillir, puis conduire les Koriens. 
            Ce qui frappa d’emblée : leur taille, plutôt homogène, pas en dessous de deux mètres ; la sobriété de leurs vêtements d’un gris satiné, sans boutons ni fermetures apparents, qui les habillaient comme une peau.
            Pour le reste, les éclairages, par une sorte de scrupule de courtoisie,  ayant été diminués, il était difficile de se faire une opinion : deux bras, deux jambes, un bassin peu prononcé, presque des corps du modèle grec ancien. 
            L’huissier les accompagna, à travers un itinéraire vidé de toute présence humaine, jusqu’à la grande salle du palais. Les chefs d’Etat se levèrent à leur entrée mais restèrent paralysés près de leur chaise, les cinq géants ignorant ostensiblement toute manifestation de civilité.
            Quand ils furent assis, Disonkor, le chef de la délégation,  posa à sa gauche un appareil, de la taille et de la forme d’un demi-pamplemousse. Le président français ne put retenir une question.
            - Monsieur…
            Disonkor le fixa, comme on regarde un serveur dans un restaurant chic ; bien que déstabilisé le Français continua.
            - Monsieur, pouvez-vous nous dire la destination de l’objet que vous venez de poser sur la table ?
         - Oui, mais ce sera la seule question que je tolèrerai pour l’instant. Il va transmettre tout ce qui se dira ici à chaque habitant de la planète.
            Déjà les représentants américain, russe et chinois s’apprêtaient à protester : un geste de la main, tranchant comme un coup de faux, et l’étrange regard jaune-violet les en dissuadèrent.
            - A présent, je vais vous présenter notre délégation : Alisonkor, notre grand sage ; Elotikor, notre ingénieur…
            Tous les regards s’échouèrent sur sa beauté comme sur un récif ; c’était une femme, sidérante ; le Français et l’Italien étaient comme hypnotisés par le volume de sa poitrine.
            - … Eterikor, notre écologiste ; Idoskor, notre écrivain, auquel vous devez le premier message. Je suis Disonkor, chef de cette mission : il me revient donc de vous expliquer les termes de notre projet et de fixer les limites de vos prérogatives.
            L’Américain, le Russe et le Chinois roulaient des yeux de furie.
            - En fait, nous avions prévu de vous contacter d’ici deux ans, mais les dégâts accélérés que vous faites subir à notre future villégiature nous ont contraint à anticiper cette expédition.
            Notre facilité de déplacement fait de votre planète un lieu très accessible ; ses reliefs, sa végétation, ses paysages en font une destination recherchée. Nous allons donc prendre nos dispositions pour que les Koriens puissent venir sur la Terre, jouir de cette Nature qu’ils vénèrent et qui leur fait tant défaut… au prix de quelques aménagements.
            Nous allons entamer une phase de concertation au cours de laquelle chaque membre de notre délégation vous entendra : dans six mois maximum nous passerons à la phase de réalisation.
            Maintenant, je vais écouter vos questions ; chacun d’entre vous n’aura droit qu’à une seule, à mon initiative. Représentant du Bhoutan pour commencer…  
       
            L’Américain, le Russe et le Chinois pâlirent de rage.
            - Monsieur Disonkor…
            - Monsieur suffira.
        - Oui … Vous nous avez présenté monsieur Eterikor comme écologiste ; donnez-vous à ce mot les mêmes sens que sur Terre ?
            - Non. Il ne désigne qu’un spécialiste des milieux naturels, chez nous la science supérieure. Italie…
           - Monsieur, pourquoi avez-vous choisi ma langue pour communiquer, plutôt que l’anglais ou l’espagnol ?
          - Par pur souci sonore et culturel ; je compte d’ailleurs m’installer en Italie. France…
            - Comment avez-vous prévu d’organiser la phase de négociation ? Et avec qui ?
         - Chacun de nous chapeautera un continent : Alisonkor l’Océanie ; Elotikor l’Amérique ; Eterikor l’Asie ; Idoskor, l’Afrique et le Moyen-Orient ; moi, l’Europe. Dans ces blocs nous avons choisi selon nos critères cinq pays qui nous proposeront vingt représentants : nous sélectionnerons cinq d’entre eux. Il y aura donc vingt-cinq délégués par groupe de négociation, qui seront les interlocuteurs exclusifs de leur Korien de référence. Papouasie…
            A cet instant, l’Américain était cramoisi de colère et de frustration, le Chinois roulait des yeux furibonds, le Russe rongeait ses ongles pour s’empêcher de hurler, ou de taper sur la table avec sa chaussure comme un Kroutchev. Ils durent attendre l’intervention du Zaïre, de la Tanzanie, de Nauru et du Nunavut avant que Disonkor ne leur concède la parole.
            Pendant ce temps sur la plazza del Campo ne restaient que quelques carabinieri et les journalistes missionnés par leur radio, leur chaîne TV ou leur feuille de chou. De nombreux paparazzi et autant de curieux avaient déserté les lieux, lassés de contempler l’aéronef immobile et la place vide. Ceux qui étaient encore là tuaient le temps en fumant ou en débouchant des thermos de café ristretto.
            Personne n’avait accordé d’attention à un homme qui venait, dans l’ombre d’un redan, d’arracher tous ses vêtements. Bousculant deux carabiniers avant de sauter au-dessus d’une balustrade métallique, il se mit  à courir sur la place tandis que journalistes, photographes et cameramen lâchaient cigarettes et cafés  pour saisir l’évènement. 
            L’exhibitionniste trottait en faisant l’avion alors que quelques policiers commençaient à investir l’espace. Ils ne purent rien faire. L’homme sprinta vers le vaisseau korien et la dernière image qu’on capta de lui fut celle d’un trentenaire, mince et musclé, aux cheveux bruns bouclés en bataille, le sexe bringuebalant. A l’instant où il toucha la carlingue il se désintégra : il ne restait de lui qu’un cône de sable gris.
            Dans la grande salle du palazzo Pubblico Disonkor donnait enfin la parole aux Américains.
            - USA …
            - Monsieur, je tiens à protester…
           - Une protestation n’est pas une interrogation ; c’est une perte de temps. Votre question ?
            Le traducteur lui ayant restitué dans l’oreillette tout le dédain de l’interruption korienne, le président américain avala péniblement l’humiliation subie devant des milliards de Terriens et s’efforça de maîtriser sa voix.
            - Si une nation, parce qu’elle désapprouve vos procédés et vos projets, s’estime légitime à une riposte par la force, comment réagiriez-vous ?
          - Vu l’état primitif de vos armes de dissuasion, à votre place je n’essaierais même pas de froncer les sourcils ; comprenez bien que nous ne tolèrerons aucune manifestation d’agressivité. Chine…
            Quelque part satisfait de la honte infligée à l’américain, le président chinois avait retrouvé des couleurs et parla dans le micro labial pour la translation…
            - Envisagez-vous d’établir des rapports commerciaux avec certaines nations ?
         - Si vous entendez par là une forme de commerce qui vous rapporterait de l’argent, c’est non. Je parlerais plutôt d’échange de services, avec un logique déséquilibre, vu l’arriération de votre civilisation. Russie…
            - Monsieur, les Koriens auraient-ils en tête de sanctuariser certaines régions et, à la limite, d’en réclamer la propriété ?
           - Votre question sera un des objets de la concertation : elle est donc hors de saison… Messieurs, notre temps est précieux. Vous trouverez la liste des pays choisis pour constituer les blocs relationnels continentaux sur vos ordinateurs personnels : vous nous soumettrez votre sélection des  vingt candidats à la délégation dans les vingt-quatre heures. Une journée de plus et vous aurez notre réponse ; aucune contestation ne sera possible. Au revoir.
            Cet  arrivederci  -seul instant de courtoisie que s’accorda le chef korien- flottait encore dans l’air que les cinq immenses silhouettes disparaissaient déjà par la porte principale. Les Terriens arrachèrent  leur COMHP (complexe oreillette-micro-haut-parleur) et, cherchant les confrères qui parleraient leur langue, se mirent à jacasser en désordre, évacuant leur trop-plein émotif.

*

            Humphrey, le patron de la NSA, n’avait jamais vu le président dans un tel état ; congestionné, transpirant, un peu débraillé, hurlant.
           - Il m’a traité comme une merde ! Humilié devant neuf milliards de personnes… ma voix remplacée par celle d’un traducteur de cette langue de saltimbanques… Putain d’enfoirés d’extra-terrestres ! Moi, le président de la première puissance mondiale, j’ai dû attendre que les Esquimaux et les Papous posent leur question avant de pouvoir placer la mienne. Merde ! Pour qui se prennent-ils, ces Koriens ? Ils vont me le payer : je leur ferai bouffer leur arrogance !! Général Lester, bordel, qu’est-ce que vous proposez ?
            Le gradé nota avec satisfaction que son président venait de se révéler capable d’adopter le langage viril des hommes d’action.
            - Monsieur le président, j’ai huit missiles dans le désert de l’Arizona pointés vers ce caillou de merde et prêts à en faire des confettis. Ils n’attendent que votre ordre….
            - Et vous Jenkins, vous ne dites rien ?
            Le ministre des Affaires étrangères leva un sourcil.
            - Monsieur, je n’avais encore jamais vu un entretien aussi unilatéral et aussi peu courtois, mais de là à déclencher les hostilités… Nous ne connaissons pas les forces des Koriens, les dégâts qu’ils peuvent nous infliger ; cependant, il est certain que leurs intentions, clairement exprimées, annoncent de graves préjudices pour notre nation. Il est impossible de ne pas réagir…
            - Continuez, Jenkins, continuez.
           - Si nous ne marquons pas le coup, nous serons la risée du monde ; une frappe de représailles risque d’être sans effets et de nous valoir une riposte sévère : je crains qu’il faille suivre le général… Un seul point m’inquiète : si leur vaisseau a échappé à tous nos appareils de repérage, à l’aller comme au retour, ils ont sans doute les moyens de détecter nos missiles, et peut-être de les neutraliser…
            Le directeur de la NSA intervint. 
          
- Et si nous leur envoyions des leurres ? Trois tirs, un frontal et deux latéraux pour capter leur attention pendant que les huit vrais meurtriers, inscrits dans une trajectoire boomerang qui dépasserait l’axe du caillou, viendraient les frapper par l’arrière au moment où ils s’occuperaient des autres.
- Pas mal, admit le général, mais je ne dispose que de seize missiles stratosphériques, dont huit de grande puissance ; il m’en faudrait le double pour mettre ces Koriens dans la trappe.
- D’autres pays possèdent des armes équivalentes ?
- La Chine et la Russie, monsieur ; je sens bien les Chinois sur ce coup-là.
- Bien, général, j’en fais mon affaire.
La mise en place de la vidéocommunication ne prit que quelques minutes. Les deux présidents et les deux chefs d’armée se retrouvèrent face à face. Ulcérés par la morgue des Koriens et sans inquiétude puisque les frappes ne visaient que les extra-terrestres, les asiatiques ne se firent pas prier longtemps et une demi-heure plus tard les deux états-majors planifiaient l’opération Edneria : à neuf heures GMT la Chine expédierait seize missiles vers l’astéroïde-vaisseau, huit vers le flanc est, huit vers la face sud. Pour leur part les USA propulseraient seize scuds-S, huit vers le côté ouest et huit –les plus puissants- dans une trajectoire en ellipse qui viendrait percuter Ednéria au nord-ouest.