Amis sportifs, je suis le seul intellectuel 50% sportif;
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dimanche 27 avril 2014

HIER, LA TERRE


 HIER, LA TERRE

          






                                                                    CHAPITRE  I

 



      «  C’est ça l’écœurement…penser à ce crétin de Dude Stavenger qui s’envoyait tout le temps du désodorisant dans le bec ! Il doit se pavaner dans une SS366, alors que je mijote depuis deux ans dans cette fusée miteuse qui a semé des boulons dans tous les coins de la galaxie. 
       A quoi ça me servirait d’être très beau, très grand, très riche ! Je m’en fiche, du moment qu’il me reste l’intelligence et l’humour. De toute façon, dès l’entrée à la Space University j’ai senti que je ne plaisais pas. On m’a toujours fait comprendre que j’étais le gardon dans la rivière à truites. Les autres ne supportaient pas mon accent british, ma culture littéraire ; heureusement, j’ai réussi à leur cacher que j’étais français : Chris pour Christian et… Callard, c’est aussi un nom écossais. Ma mémoire les complexait, alors, à cause de mon mètre soixante-douze, ils m’ont très vite appelé résidu d’éprouvette et quand, dès les premiers cours de sport,  j’ai couru plus vite qu’eux, ils se sont mis à me haïr.
      Je devrais faire un peu de ménage, cette cabine est crasseuse. Même pas un robot dans ce vaisseau dégueulasse. Ceci dit, côté moteur, le nucléaire c’est tranquille : pas un accroc. Les reprises sont  bien un peu molles… N’empêche, quand la promo a eu son diplôme il y avait une affectation pour tous, sauf pour moi. Ils ne savaient pas où me mettre ; surtout, que je ne passe pas à la télé, qu’on ne voie pas la tête du plus petit cosmonaute de la promotion ! Ca la foutait mal. Foutait… je faiblis sur le langage, il faudrait que je me surveille.
      Un rond-de-cuir a fini par trouver une solution : on m’a collé dans la plus vieille fusée encore en état de vol et on m’a envoyé en ligne droite explorer les lointains jusqu’aux limites autorisées.
      Deux ans aller, deux ans retour, quatre ans de tranquillité… les cons ! S’ils savaient comme ça m’ennuie l’infini. Je n’en peux plus.  Je vomis les étoiles, j’éructe sur les astéroïdes, je conchie les planètes vides sans atmosphère. Pas même un alien pour déconner un peu. J’ai réussi à emmener de la lecture en douce… Pendant les essais, j’ai démonté trois panneaux d’isolation pour y glisser mes cinquante bouquins… interdits par le règlement ; sans ces livres je me serais déjà fait hara-kiri sur une météorite. »
      Comment Christian Callard s’était-il perdu dans de si navrantes réflexions ? En consultant le compteur de l’ordinateur de bord, il avait constaté que sa mission arrivait à son terme et l’idée de revenir sur terre l’assombrissait, d’une certaine façon.
      Seul baume à sa morosité : il attendait une communication de la planète bleue. Son contact, Frédéric De Brown, était le type même de l’imbécile prétentieux  dont il se délectait. Une détestation réciproque rendait leurs rapports délicieux. Chris Callard ne pouvait se dominer : quand il entendait la voix nasillarde venue de si loin, des griffes lui sortaient par tous les pores de la peau.
      A présent, il était dans sa cabine, plongé dans L’envers et l’Endroit de Camus. La sonnerie le fit tressaillir. Péniblement, il se dirigea vers le téléphone.
      -Allo, ici COT, ici COT…
      -Je t’écoute ma poule.
      -Callard, vous êtes désespérant ; quand cesserez-vous ce jeu  de mot débile ?
      -Quand vous saurez dire « ici centre des opérations de la Terre », à vous !
      -Imbécile ! Bon, ça va. Vous arrivez à la limite de la zone d’investigation. Faites demi-tour et au rapport… dans deux ans (il gloussa).
      -Je ne peux pas aller plus loin ?
      -On y enverra des gens plus compétents et mieux équipés.
      -Mais dites-moi, sagace palmipède, si je continuais, sans rien dire à personne…
      -Imbécile ! Vous verrez votre note administrative au retour…
      -Ah, j’ai eu peur !
      -Ca va. Dépêchez-vous, il ne vous reste que deux ans pour revenir (il gloussa de nouveau).
      -Allo, allo, cot, cot, j’ai un problème technique : mon levier de vitesse est rouillé, impossible de le manœuvrer, impossible de revenir. A vous.
      -Callard, arrêtez vos âneries.
      -Ne me faites pas braire ; deux ans qu’il est bloqué en marche avant, c’est normal. Ah, je me souviens : un jour une canette de bière s’est renversée et a coulé dessus. Je dois faire quoi ? A vous.
      -De la bière ? Le règlement interdit de… imbécile, si vous ne faites pas demi-tour immédiatement, j’envoie un rapport au Colonel Boring.
      -Tsss, tsss, on dit Colonel Herbert. Envoyez, envoyez, intéressant volatile, je m’en tamponne. Je crois que je vais même faire un peu de tourisme.
      -Imbécile !
      -Palmipède !
      La communication fut brutalement interrompue. Chris Callard se sentait l’appétit aiguisé, la tête claire, l’humeur tonique.
      -Rien de tel qu’une algarade avec un couillon qui vous prend pour un abruti. Hmm ! Voyons cette zone interdite !

      Les yeux rivés sur le hublot de proue, il scruta l’espace, puis il attrapa le carnet de bord. Il n’avait rempli que les cent premiers jours. Il arracha les cent premières pages et pensa commencer un journal intime, mais le spleen taraudait sa cervelle.
      «  Deux ans de navigation… J’ai toujours aimé l’espace, les grands espaces, physique et mentaux, mais je n’étais pas préparé à l’infini…Malgré la vidéothèque du vaisseau, les repas fins surgelés, les pilules, j’ai senti venir l’ennui, des poussées d’ennui que j’ai refoulées, jusqu’à présent, avec un bon livre. J’ai embarqué mes bouquins,  pour le plaisir de les regarder. Je sais que j’approche de mes limites psychologiques.
      Mon travail a été décevant : je n’ai rencontré que des planètes trop chaudes, trop froides, trop désertes, trop abîmées, trop incertaines, trop dangereuses. Les sondes que j’ai envoyées sur ces sphères inhospitalières n’ont jamais brisé la routine : les unes avaient brûlé ou gelé sur place, les autres revenaient avec des minerais sans intérêt, des analyses négatives.
      Je vais mettre mon vaisseau en dérive, comme sur une mer. Je finirai bien par rencontrer quelque chose…»  

      Il resta longtemps  assis au poste de pilotage. Dans le tableau de bord le chronomètre aligna plusieurs dizaines d’heures. Rien n’arrivait. Fatigué, il partit se coucher, avala diverses pilules et le chronomètre continua sa course indifférente.
      Quelque chose d’insolite le tira de son sommeil. Derrière le rideau de son étroit hublot perçait une abondante lumière. Devant lui se dessinait une planète bleutée et au loin un soleil. Il pensa à la Terre, mais il lui tournait le dos et si le navire avait dérouté, puisqu’il n’avait pas dormi plus d’une semaine, elle n’aurait pas été en vue.
      Quelques heures plus tard elle fut assez près pour qu’il distinguât un continent au milieu d’un unique océan. Il mit le vaisseau en panne et envoya une sonde : elle revint avec des données encourageantes.  L’atmosphère était sensiblement la même que celle de la Terre, le sol de nature identique et des traces végétales apparaissaient sur les pieds stabilisateurs de la sonde. Il remit en marche le vaisseau et accomplit trois révolutions autour de la planète. Il put vérifier que mer et continent étaient bien uniques : l’ordinateur évalua le volume de la planète au double de celui de la Terre.
      Callard entama des manœuvres d’approche ; il avait perdu la main et l’arrivée fut assez brutale. Avant de sortir il préleva un peu d’air par un sas, l’analysa et retrouva les mêmes caractéristiques que sur la sonde.Alors il s’installa dans le sas principal et se reposa pendant que les appareils harmonisaient lentement les pressions et les taux de gaz.Une sonnerie l’avertit que l’opération était terminée.  .                                                                                               
      Il déverrouilla la porte, l’ouvrit et huma l’air frais. Le train d’atterrissage devait être pulvérisé car le vaisseau était enfoncé jusqu’au ventre dans la terre humide. Chris sauta de la porte latérale et trouva un sol meuble, non boueux. Il était au milieu d’un champ qui semblait labouré ; autour de lui, des haies, d’autres champs, des bois, de hautes collines, et plus loin des montagnes. Cela sentait le soir de printemps.
      A n’en pas douter la terre avait été travaillée ; la présence d’êtres, intelligents ou habiles, ne faisait pas de doute. Chris avança d’un pas rapide et trouva, au bout du champ, un sentier rudimentaire : le sol, battu par des pas, était nu et, comme des vagues qui se retirent inégalement, l’herbe dessinait ses contours de façon  irrégulière. Il continua sur cette sente, dépassa d’autres champs, des haies. Tout le paysage de cet endroit paraissait ordonné. Le layon aboutit à une rivière au lit étroit, au cours lent. Dans le prolongement du sentier, un pont. Chris ne pouvait plus douter d’une présence, mais ignorait son apparence, son caractère. Il était envahi par un sentiment d’étrangeté : dans ce lieu si semblable à la Terre il redoutait de rencontrer quelque créature rien moins qu’humanoïde, et la paisible familiarité du décor lui faisait craindre, par l’attirance universelle des contraires, l’apparition d’une créature hideuse. Il franchit le pont de bois et arriva à un épais bosquet dans lequel le sentier  taillait une maigre trouée. Au sortir de ce défilé végétal il aperçut ce qu’il s’attendait à voir depuis un moment : des habitations. A deux cents mètres se dressait une silhouette de pierres, une construction qui rappelait les bastides, avec quelque chose de plus élancé, de plus raffiné. Il s’approcha, distingua un mur d’enceinte, percé non de meurtrières, mais de larges fenêtres à jalousies. Cette muraille crénelée présentait une façade d’une soixantaine de mètres et se prolongeait en biseau de chaque côté.
       Le chemin aboutissait à un porche en ogive : on distinguait deux portes rabattues à l’intérieur, sculptées. Une paire d’échauguettes aux lignes fluides surplombait l’ouverture. Il n’y avait ni douves ni fossés. Le jour déclinait. Chris entra : pas âme qui vive. Il était sur une place hexagonale.  En face de lui, se tenait un château, flanqué de deux ailes qui se prolongeaient jusqu’aux remparts par l’intermédiaire de deux murs.  Toute vie semblait s’être retirée de ce lieu. Pourtant, la porte monumentale du château était grande ouverte et Chris crut entendre le son étouffé de rires masculins. Il traversa la place, monta les marches et entra. Les rires se firent plus nets ;  en tâtonnant dans l’obscurité naissante, il les suivit  jusqu’à la porte entrebâillée d’une salle  éclairée, au premier étage.
       Chris hésita.  Derrière l’attendait peut-être un cauchemar. Il glissa sa main entre la porte et le chambranle, agrandit l’ouverture de quelques degrés, et risqua un œil. Il vit une salle à manger, de quinze pas sur dix : les murs étaient couverts de tentures, le sol de tapis. Au fond, face à la porte, une cheminée à cinq arches de taille décroissante, et à quelque distance, lui tournant le dos, une grande table en demi-lune. Une douzaine d’hommes offraient leur dos au feu qui crépitait dans l’âtre.
      Ce n’était que des mâchoires broyant dans un bruit de pilons, des joues parcourues par des nodosités de bouchées pleines, des tempes dont saillaient les tendons, des lèvres luisantes de sauce, enfiévrées par la gloutonnerie. Certains étaient bouffis jusqu’aux yeux : les visages étaient écarlates et les nez pourpres les illuminaient comme des phares bachiques sur lesquels battent les houles d’une bouche effrénée. L’un ou l’autre convive s’arrêtait de temps en temps pour laisser remonter le long de sa gorge, comme un roucoulement monstrueux, un rot, dispensé avec modestie.
      Au centre de la table un homme se distinguait par sa stature et l’énergie terrible de sa mastication : ses joues tressautaient, ondulaient, s’étiraient ; ses tempes se gonflaient puis se creusaient ; ses sourcils, son front et même ses cheveux bougeaient ; les muscles de son cou se tendaient, turgescents comme ses veines, et sa glotte dansait, ludion infernal. Cette tête puissante était posée sur des épaules énormes au-dessus d’un tronc qui passait de trente centimètres tous ceux qui l’entouraient.
      Chris Callard, tenaillé par la faim,  était fasciné par ce spectacle, lui qui venait de passer deux ans sans rien voir !
      Il poussa le battant et entra. Le géant qui venait de poser son verre pour rire à son aise se figea ; aussitôt les autres se turent.
      -Par les mille pustules de Bésébutte, regardez-moi ça !
       Chris ne croyait pas que sa tenue fût si ridicule mais ils s’exténuaient de rire, ils se convulsaient, ils en pissaient dans leurs braies. Enfin le géant se leva.
      -Approche estranger, et viens me dire qui tu es ?
      - Je me nomme Chris Callard et je viens de la Terre.
      - Coccinelle, une chaise ! Chris as-tu dit ?
      -Oui : Chris, pour Christian. Je mangerai bien un morceau !
       Le géant lui remplit une assiette que le serviteur avait apportée en même temps que le siège.
      -Te sers-tu de tes pieds ou as-tu laissé ton cheval dans la cour ?
      Chris Callard s’empiffrait et ne répondait aux questions, à regret, qu’après avoir avalé la bouchée en cours.
      -Ni l’un, ni l’autre : je suis venu dans une machine.
      -De le terre, as-tu dit ; de la boue, de la glaise ; en somme, tu viens d’en-dessous, avec ta machine. Ne serais-tu pas un habile comédien qui m’enivre de ses chansons pour me tirer quelques sols ?
      -Eh bien demain matin nous irons voir ma fusée plantée dans un champ et tu verras que c’est pas une blague !
      -Fusée, quel mot, quelle trouvaille ! Ne serais-tu pas un  comme moi un peu poète ?
      - Terre est le nom du monde d’où je viens, et il m’a fallu deux ans de vol dans l’espace pour arriver ici. Ma machine ressemble à un gigantesque suppositoire.
       -Parbleu, comme cette petite chose grasse qui porte les remèdes dans le corps ?
       -Merde, vous connaissez le suppositoire !
      -Je n’y peux tenir… Coccinelle, apporte-moi une lanterne, et toi compagnon, suis-moi : nous allons voir ton suppositoire volant.
      Le serviteur revint bientôt avec son falot et tous trois sortirent. Chris et le géant marchaient côte à côte ; le domestique, devant, leur ouvrait le chemin.
       -C’est quoi ton nom ? dit Chris.
      -Je suis Guillaume de Grattevent, dit Grattedevant. Il est coutume chez nous d’affubler chacun d’un surnom, qui sert plus souvent que le vrai.
      -Grattedevant, hum… Original. Et dis-moi tu pèses combien ?
      -Deux cent soixante livres réparties sur six pieds et demi ; mon père dépassait tout juste les six pieds.
      -Ah ! Quand même ! Beau bestiau…
     -Ventre de biche !
      De sa lanterne brandie, Coccinelle, soufflant comme un phoque, éclairait le vaisseau d’acier pendant que Gratttedevant, ébahi, contemplait les proportions monstrueuses de la machine.
      Le  lendemain de son arrivée, aux premières blancheurs du jour, Callard fut réveillé par l’organe tonitruant de Grattedevant.
      -Peste, compagnon, songerais-tu à paillarder sous la plume, alors que depuis mon lever la question de ton surnom me chatouille l’esprit ?  Il grouille dans mon crâne autant de questions et de mots que d’asticots dans un estron et par les mille pustules de Bésébutte nous ne finirons pas le jour sans que je t’aie enfanté un nom digne de toi.
      Ils descendirent à la cuisine. La table était réduite à trois personnes. Grattedevant désigna le trio.
      -Voici mes coutumiers : Sucebiou, mon régisseur, qui veille à tout, et surtout à mes richesses –pour couper à ton sourire entendu, chez nous le biou désigne un petit escargot ou une belle grappe  de raisins-.Voici encore  Mange-briques le besticâtre, providence de mes bêtes et de celles de mes  vilains ; enfin Triquemenu mon veneur et garde-forêts.
     Les  visages ouverts et souriants se tournaient vers Callard.   
     -Ne t’étonne pas de trouver ce matin table moins large qu’hier : nous fêtions mon dernier mois de célibat avec quelques gents compagnons. Outre Sucebiou, Mange-briques et Triquemenu que voilà, il y avait Claquepet, Magotte, Pisse-temps, Courtepine –le cousin de Triquemenu-, Ramassamègue, Millasson, Caguefigue, Trousseculotte et Pitelugue. Ah ! Les bons garçons. Vois-tu Chris Couillard, ils ont tiré de vie la quintessence et savent que boyau et cerveau sont indissolublement liés. Tu n’en verras pas de tatillons du gosier, de calamiteux de la lippe, de ratatinés de l’estomac. Ni mange-maigre, ni trogne coincée. Sont-ils des goulus gourmands ou des gourmets gloutons ? Nous en disputerons. Nul ne peut leur discuter la qualité d’honnêtes hommes car ils ne mangent point en suisse, en fourbe, en chattemite. Quand ils attaquent de l’entonnoir, c’est droit la bête !
            La large poigne du géant se posa comme une libellule sur l’épaule de Chris.
     -Et maintenant, Chris Qu’a l’art, que Bésébutte me chaspe jusqu’à la fin des temps si tu ne me dis le mystère de ton clystère volant et la figure suprenante de ton monde !
     -Ecoute, j’ai pas envie de parler de ma foutue planète aujourd’hui. Quant à ma fusée…  voilà une belle réalisation du génie humain ! Le même caillou qui, du  cœur de sa  machine, pousse mon vaisseau dans l’espace, peut tuer des peuples entiers… Pardonne-moi, Grattedevant, deux ans de captivité dans ce navire de merde m’ont donné des idées noires…
      Le petit déjeuner durait. Sucebiou faisait l’essentiel de la conversation, exposait ses problèmes et sollicitait les décisions de son seigneur.
      -Et si tu me parlais de ta promise, ça te pose pas de problème ?
      -Que non Chris Culard, tu n’es  pas comme la poule qui pose vingt fois son cul avant de pondre.  Fille d’un seigneur ami, Hugues de Langalade, elle a nom Callistéïa, qu’elle porte à merveille  et ce nom signifie la plus belle en grec. Elle est la  vraie image de beauté, sens et finesse
      -Grattedevant parle le grec ? Hum…
      -Une pincée de grec, une poignée de latin. Après dîner je te conduirai dans ma librairie. Qu’y a-t’il de plus beau que ces étoiles filantes de la pensée ? Un jeu de mots, un vers : quels cadeaux ! C’est mon père qui m’initia à la poésie, au mot qui s’illumine. C’était également un homme gourmand, amateur de bonne chair… D’ailleurs, si tu connaissais les circonstances de ma naissance...
     - Eh bien allez, raconte-moi !
      Les paupières de Grattedevant se plissèrent jusqu’à ne plus former qu’une mince fente et il accompagna ses paroles d’amples gestes.
      -Une nuit d’hiver, il faisait un  froid à faire éclater les pierres, les rayons de lune gelaient avant de toucher terre et les hiboux, chats huants, grands ducs, hulottes et autres chouettes n’osaient plus chasser de peur de rester suspendus, congelés entre deux arbres.
      Dans le château de Bramadisse, mon père et ma mère, enfouis sous quatre couches d’édredon, s’adonnaient au seul exercice qui puisse vous faire transpirer par une nuit glaciale. Mon père, dont la devise en amour était   « toujours ardent, toujours prudent », avait,  par je ne sais quelle mégarde, oublié de se vêtir -ainsi disons-nous le fait de se couvrir le membre d’un long capuchon taillé dans une vessie de porc-  de sorte que je pris vie dans cette nuit de janvier, célèbre en toutes les mémoires. Engendré dans les frimas extrêmes, je suis chaud lapin ! Enfant de la rusticité hygiénique, je suis poète lubrique. Comment pourrais-tu me vouloir mal de ma muse pervertie, Chris Galant ? 
      Celui-ci ne trouva rien à rétorquer et se servit une seconde écuelle de bouillie. 


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vendredi 18 avril 2014

P..., J'AIME LA VIE !


    Contrairement à Chateaubriand qui considérait que sa mère lui avait infligé la vie je remercie la mienne du cadeau qu'elle m'a fait. Car, en dépit de ses chagrins et de ses turpitudes, la vie reste un don inouï.
    Plutôt que d'être demeuré dans les limbes je préfère affronter les épreuves et les contrariétés de l'existence, ne serait-ce que pour ce qui en fait le prix à mes yeux : la beauté de la planète, les rapports humains, les produits que la Terre nous offre.
    Tout le reste n'est qu'accessoire.

vendredi 11 avril 2014

VOLUTES


   

    DEVINETTE
    Dans une soirée un type se fait draguer par une jolie brune. Il est séduit mais joue les indifférents pour voir jusqu'où elle ira dans l'aguichage. Que fait-il ?
    Réponse : il joue l'aguiché fermé.

                                                                                   *

    Un jour, je me dirigeais vers des latrines publiques. Ma main sortait de ma poche dans le but évident de saisir la poignée ultramicrobienne de la porte, quand un quidam, me brûlant la politesse, s'engouffra dans les toilettes. Cinq secondes plus tard, j'entendis une cararacte défécatoire ; la diarrhée dans toute sa splendeur.
    C'étaient les chiottes du Niagara !

                                                                                   *

    On ne peut vivre sans consommer, mais le consumérisme nous consumera. Il finira par ne faire que cendres de ce qui n'est pas lui ou, pour le moins, ne laissera que des enveloppes vides comme des mues de cigale là où vivaient des mots, des sentiments et des âmes.

                                                                                   *

    DEVINETTE
    Pour tromper ma faim je me fais un bol de flocons d'avoine et de pétales de maïs. A quoi je m'attaque ?
    Réponse : à des céréales qui leurrent.                                 

dimanche 6 avril 2014

Deux


    Puisque nous apprécions les assemblages culinaires de la cuisine moderne, pourquoi répugnons-nous autant à la même audace dans la création des mots ?
    Nous disposons de nombreux instruments, de tous les ingrédients, et là, au-dessus du faitout, nous renonçons. Vous devez vous dire : où veut-il en venir ?
    Accouchons donc : à chaque fois que je vois un cuistre proférer, la lèvre satisfaite, un anglicisme inutile, je sens pointer la crise d'eczéma. Je ne parle pas du vocabulaire technique pour lequel l'obsolescence rend vaine la fabrication de néologismes -comme en informatique par exemple- mais de tous les autres termes que nous pourrions traduire par un mot made in France.
    Alors, jeunes cons, trissotins de tous poils et vieux débris (ma catégorie) faites péter les mots nouveaux pour ralentir l'invasion anglo-saxonne ; si vous êtes en panne d'inspiration pensez aux mots oubliés* ou à une tranquille francisation**.
    *Nous avons adopté le mot "patchwork" alors qu'il existait le mot "centon". Le "pitch" d'un film ou d'un scénario c'est son "argument", son "sommaire". Amis sportifs, le "turn over" c'est le "roulement".
    **Pour "crowdfunding" je propose " grosfondage, foulefonds, coopfondage, fincoop ou finpart (sonoriser le n), collectage, mécénart", ainsi que, dans le désordre "chéquer, azbine, frileur, rimèque, débrif, brintche, lobi, ferplé" pour "checker, has been, thriller, remake, debriefing, brunch, lobby, fair-play". Mais ne me changez pas strip-tease !
    Allez, à vos gamelles ! Et n'hésitez pas à "scroller" !

samedi 5 avril 2014

Un


    Bien entendu, les pervers se jetteront sur cette rubrique avec l'espoir d'y trouver quelques salaceries, mais je ne leur ferai pas ce plaisir. On ne pourra y consommer que des petites pastilles consacrées à ce que j'appelle la langue fourrée -à prendre dans le même sens que des chocolats fourrés-, c'est à dire tous ce mots ou expressions qui, sous une couche fondante, recèle tantôt un coeur savoureux, tantôt, au contraire, un contenu gluant, indigeste, voire nauséeux.
    Parfois aussi, je me laisserai aller à quelques diatribes de mauvaise foi sur cette langue que j'aime tant.
    Evidemment le vocabulaire journalistico-politique risque d'être mon vivier d'élection et, déjà, je contemple, comme on dévore des yeux des amuse-gueule délectables, le buffet verbal qui s'offre à mon appétit ; d'avance je vous remercie, virtuoses du sophisme, de la langue de bois, du psittacisme et de la palilalie !
    Et pour nous mettre en bouche, dégustons cette phrase : " Ce projet (technopôle de quinze hectares) est destiné à accueillir uniquement des activités industrielles créatrices d'emploi et respectueuses de l'environnement." Une expression pareille c'est comme humer un verre de Romanée-Conti ou lorgner  le décolleté de Barbara Anderson : on frôle l'érection intellectuelle.
    En effet -étant obtus congénital- je n'arrive pas à comprendre comment éradiquer des prés, des arbres et tout animal qui s'y trouve pour les remplacer par du goudron, de la tôle et du béton, constitue une façon de respecter l'environnement.
    Conclusion : exigez une rectification lexicale -et non pas une laxatification rectale- au prochain qui vous parle d'un parking, d'un bâtiment ou d'un tobbogan routier respectueux de l'environnement !