HIER, LA TERRE
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« C’est ça
l’écœurement…penser à ce crétin de Dude Stavenger qui s’envoyait tout le temps
du désodorisant dans le bec ! Il doit se pavaner dans une SS366, alors que
je mijote depuis deux ans dans cette fusée miteuse qui a semé des boulons dans
tous les coins de la galaxie.
A quoi ça
me servirait d’être très beau, très grand, très riche ! Je m’en fiche, du
moment qu’il me reste l’intelligence et l’humour. De toute façon, dès l’entrée
à la Space University j’ai senti que je ne plaisais pas. On m’a toujours fait
comprendre que j’étais le gardon dans la rivière à truites. Les autres ne
supportaient pas mon accent british, ma culture littéraire ; heureusement,
j’ai réussi à leur cacher que j’étais français : Chris pour Christian et…
Callard, c’est aussi un nom écossais. Ma mémoire les complexait, alors, à cause
de mon mètre soixante-douze, ils m’ont très vite appelé résidu
d’éprouvette et quand, dès les premiers cours de sport, j’ai couru plus vite qu’eux, ils se sont mis à
me haïr.
Je devrais faire
un peu de ménage, cette cabine est crasseuse. Même pas un robot dans ce
vaisseau dégueulasse. Ceci dit, côté moteur, le nucléaire c’est
tranquille : pas un accroc. Les reprises sont bien un peu molles… N’empêche, quand la promo
a eu son diplôme il y avait une affectation pour tous, sauf pour moi. Ils ne
savaient pas où me mettre ; surtout, que je ne passe pas à la télé, qu’on
ne voie pas la tête du plus petit cosmonaute de la promotion ! Ca la
foutait mal. Foutait… je faiblis sur le langage, il faudrait que je me
surveille.
Un rond-de-cuir a
fini par trouver une solution : on m’a collé dans la plus vieille fusée
encore en état de vol et on m’a envoyé en ligne droite explorer les lointains
jusqu’aux limites autorisées.
Deux ans aller,
deux ans retour, quatre ans de tranquillité… les cons ! S’ils savaient
comme ça m’ennuie l’infini. Je n’en peux plus. Je vomis les étoiles, j’éructe sur les
astéroïdes, je conchie les planètes vides sans atmosphère. Pas même un alien
pour déconner un peu. J’ai réussi à emmener de la lecture en douce… Pendant les
essais, j’ai démonté trois panneaux d’isolation pour y glisser mes cinquante
bouquins… interdits par le règlement ; sans ces livres je me serais déjà
fait hara-kiri sur une météorite. »
Comment Christian
Callard s’était-il perdu dans de si navrantes réflexions ? En consultant
le compteur de l’ordinateur de bord, il avait constaté que sa mission arrivait
à son terme et l’idée de revenir sur terre l’assombrissait, d’une certaine
façon.
Seul baume à sa
morosité : il attendait une communication de la planète bleue. Son
contact, Frédéric De Brown, était le type même de l’imbécile prétentieux dont il se délectait. Une détestation
réciproque rendait leurs rapports délicieux. Chris Callard ne pouvait se dominer :
quand il entendait la voix nasillarde venue de si loin, des griffes lui
sortaient par tous les pores de la peau.
A présent, il était dans sa cabine, plongé
dans L’envers et l’Endroit de Camus. La sonnerie le fit tressaillir.
Péniblement, il se dirigea vers le téléphone.
-Allo, ici COT,
ici COT…
-Je t’écoute ma
poule.
-Callard, vous
êtes désespérant ; quand cesserez-vous ce jeu de mot débile ?
-Quand vous
saurez dire « ici centre des opérations de la Terre », à vous !
-Imbécile ! Bon,
ça va. Vous arrivez à la limite de la zone d’investigation. Faites demi-tour et
au rapport… dans deux ans (il gloussa).
-Je ne peux pas
aller plus loin ?
-On y enverra des
gens plus compétents et mieux équipés.
-Mais dites-moi,
sagace palmipède, si je continuais, sans rien dire à personne…
-Imbécile !
Vous verrez votre note administrative au retour…
-Ah, j’ai eu
peur !
-Ca va.
Dépêchez-vous, il ne vous reste que deux ans pour revenir (il gloussa de
nouveau).
-Allo, allo, cot,
cot, j’ai un problème technique : mon levier de vitesse est rouillé,
impossible de le manœuvrer, impossible de revenir. A vous.
-Callard, arrêtez
vos âneries.
-Ne me faites pas
braire ; deux ans qu’il est bloqué en marche avant, c’est normal. Ah, je
me souviens : un jour une canette de bière s’est renversée et a coulé
dessus. Je dois faire quoi ? A vous.
-De la
bière ? Le règlement interdit de… imbécile, si vous ne faites pas
demi-tour immédiatement, j’envoie un rapport au Colonel Boring.
-Tsss, tsss, on
dit Colonel Herbert. Envoyez, envoyez, intéressant volatile, je m’en tamponne.
Je crois que je vais même faire un peu de tourisme.
-Imbécile !
-Palmipède !
La communication
fut brutalement interrompue. Chris Callard se sentait l’appétit aiguisé, la tête
claire, l’humeur tonique.
-Rien de tel
qu’une algarade avec un couillon qui vous prend pour un abruti. Hmm !
Voyons cette zone interdite !
Les yeux rivés
sur le hublot de proue, il scruta l’espace, puis il attrapa le carnet de bord.
Il n’avait rempli que les cent premiers jours. Il arracha les cent premières
pages et pensa commencer un journal intime, mais le spleen taraudait sa
cervelle.
« Deux ans
de navigation… J’ai toujours aimé l’espace, les grands espaces, physique et
mentaux, mais je n’étais pas préparé à l’infini…Malgré la vidéothèque du
vaisseau, les repas fins surgelés, les pilules, j’ai senti venir l’ennui, des
poussées d’ennui que j’ai refoulées, jusqu’à présent, avec un bon livre. J’ai
embarqué mes bouquins, pour le plaisir
de les regarder. Je sais que j’approche de mes limites psychologiques.
Mon travail a été
décevant : je n’ai rencontré que des planètes trop chaudes, trop froides,
trop désertes, trop abîmées, trop incertaines, trop dangereuses. Les sondes que
j’ai envoyées sur ces sphères inhospitalières n’ont jamais brisé la
routine : les unes avaient brûlé ou gelé sur place, les autres revenaient
avec des minerais sans intérêt, des analyses négatives.
Je vais mettre
mon vaisseau en dérive, comme sur une mer. Je finirai bien par rencontrer quelque
chose…»
Il resta
longtemps assis au poste de pilotage.
Dans le tableau de bord le chronomètre aligna plusieurs dizaines d’heures. Rien
n’arrivait. Fatigué, il partit se coucher, avala diverses pilules et le
chronomètre continua sa course indifférente.
Quelque chose
d’insolite le tira de son sommeil. Derrière le rideau de son étroit hublot perçait
une abondante lumière. Devant lui se dessinait une planète bleutée et au loin
un soleil. Il pensa à la Terre, mais il lui tournait le dos et si le navire
avait dérouté, puisqu’il n’avait pas dormi plus d’une semaine, elle n’aurait
pas été en vue.
Quelques heures
plus tard elle fut assez près pour qu’il distinguât un continent au milieu d’un
unique océan. Il mit le vaisseau en panne et envoya une sonde : elle
revint avec des données encourageantes. L’atmosphère était sensiblement la même que
celle de la Terre, le sol de nature identique et des traces végétales
apparaissaient sur les pieds stabilisateurs de la sonde. Il remit en marche le
vaisseau et accomplit trois révolutions autour de la planète. Il put vérifier
que mer et continent étaient bien uniques : l’ordinateur évalua le volume
de la planète au double de celui de la Terre.
Callard entama des manœuvres d’approche ;
il avait perdu la main et l’arrivée fut assez brutale. Avant de sortir il
préleva un peu d’air par un sas, l’analysa et retrouva les mêmes
caractéristiques que sur la sonde.Alors il s’installa dans le sas principal et
se reposa pendant que les appareils harmonisaient lentement les pressions et
les taux de gaz.Une sonnerie l’avertit que l’opération était terminée. .
Il déverrouilla la
porte, l’ouvrit et huma l’air frais. Le train d’atterrissage devait être pulvérisé
car le vaisseau était enfoncé jusqu’au ventre dans la terre humide. Chris sauta
de la porte latérale et trouva un sol meuble, non boueux. Il était au milieu
d’un champ qui semblait labouré ; autour de lui, des haies, d’autres
champs, des bois, de hautes collines, et plus loin des montagnes. Cela sentait
le soir de printemps.
A n’en pas douter la terre avait été
travaillée ; la présence d’êtres, intelligents ou habiles, ne faisait pas
de doute. Chris avança d’un pas rapide et trouva, au bout du champ, un sentier
rudimentaire : le sol, battu par des pas, était nu et, comme des vagues
qui se retirent inégalement, l’herbe dessinait ses contours de façon irrégulière. Il continua sur cette sente,
dépassa d’autres champs, des haies. Tout le paysage de cet endroit paraissait
ordonné. Le layon aboutit à une rivière au lit étroit, au cours lent. Dans le
prolongement du sentier, un pont. Chris ne pouvait plus douter d’une présence,
mais ignorait son apparence, son caractère. Il était envahi par un sentiment
d’étrangeté : dans ce lieu si semblable à la Terre il redoutait de
rencontrer quelque créature rien moins qu’humanoïde, et la paisible familiarité
du décor lui faisait craindre, par l’attirance universelle des contraires,
l’apparition d’une créature hideuse. Il franchit le pont de bois et arriva à un
épais bosquet dans lequel le sentier
taillait une maigre trouée. Au sortir de ce défilé végétal il aperçut ce
qu’il s’attendait à voir depuis un moment : des habitations. A deux cents mètres
se dressait une silhouette de pierres, une construction qui rappelait les
bastides, avec quelque chose de plus élancé, de plus raffiné. Il s’approcha,
distingua un mur d’enceinte, percé non de meurtrières, mais de larges fenêtres
à jalousies. Cette muraille crénelée présentait une façade d’une soixantaine de
mètres et se prolongeait en biseau de chaque côté.
Le chemin aboutissait à un porche en
ogive : on distinguait deux portes rabattues à l’intérieur, sculptées. Une
paire d’échauguettes aux lignes fluides surplombait l’ouverture. Il n’y avait
ni douves ni fossés. Le jour déclinait. Chris entra : pas âme qui vive. Il
était sur une place hexagonale. En face
de lui, se tenait un château, flanqué de deux ailes qui se prolongeaient
jusqu’aux remparts par l’intermédiaire de deux murs. Toute vie semblait s’être retirée de ce lieu.
Pourtant, la porte monumentale du château était grande ouverte et Chris crut
entendre le son étouffé de rires masculins. Il traversa la place, monta les
marches et entra. Les rires se firent plus nets ; en tâtonnant dans l’obscurité naissante, il les
suivit jusqu’à la porte entrebâillée
d’une salle éclairée, au premier étage.
Chris
hésita. Derrière l’attendait peut-être
un cauchemar. Il glissa sa main entre la porte et le chambranle, agrandit
l’ouverture de quelques degrés, et risqua un œil. Il vit une salle à manger, de
quinze pas sur dix : les murs étaient couverts de tentures, le sol de
tapis. Au fond, face à la porte, une cheminée à cinq arches de taille
décroissante, et à quelque distance, lui tournant le dos, une grande table en
demi-lune. Une douzaine d’hommes offraient leur dos au feu qui crépitait dans
l’âtre.
Ce n’était que
des mâchoires broyant dans un bruit de pilons, des joues parcourues par des
nodosités de bouchées pleines, des tempes dont saillaient les tendons, des
lèvres luisantes de sauce, enfiévrées par la gloutonnerie. Certains étaient
bouffis jusqu’aux yeux : les visages étaient écarlates et les nez pourpres
les illuminaient comme des phares bachiques sur lesquels battent les houles
d’une bouche effrénée. L’un ou l’autre convive s’arrêtait de temps en temps
pour laisser remonter le long de sa gorge, comme un roucoulement monstrueux, un
rot, dispensé avec modestie.
Au centre de la
table un homme se distinguait par sa stature et l’énergie terrible de sa
mastication : ses joues tressautaient, ondulaient, s’étiraient ; ses
tempes se gonflaient puis se creusaient ; ses sourcils, son front et même
ses cheveux bougeaient ; les muscles de son cou se tendaient, turgescents
comme ses veines, et sa glotte dansait, ludion infernal. Cette tête puissante
était posée sur des épaules énormes au-dessus d’un tronc qui passait de trente
centimètres tous ceux qui l’entouraient.
Chris Callard,
tenaillé par la faim, était fasciné par
ce spectacle, lui qui venait de passer deux ans sans rien voir !
Il poussa le
battant et entra. Le géant qui venait de poser son verre pour rire à son aise se
figea ; aussitôt les autres se turent.
-Par les mille
pustules de Bésébutte, regardez-moi ça !
Chris ne croyait pas que sa tenue fût si
ridicule mais ils s’exténuaient de rire, ils se convulsaient, ils en pissaient
dans leurs braies. Enfin le géant se leva.
-Approche
estranger, et viens me dire qui tu es ?
- Je me nomme Chris Callard et je viens de la
Terre.
- Coccinelle, une chaise ! Chris
as-tu dit ?
-Oui :
Chris, pour Christian. Je mangerai bien un morceau !
Le géant lui
remplit une assiette que le serviteur avait apportée en même temps que le
siège.
-Te sers-tu de
tes pieds ou as-tu laissé ton cheval dans la cour ?
Chris Callard
s’empiffrait et ne répondait aux questions, à regret, qu’après avoir avalé la
bouchée en cours.
-Ni l’un, ni
l’autre : je suis venu dans une machine.
-De le terre,
as-tu dit ; de la boue, de la glaise ; en somme, tu viens
d’en-dessous, avec ta machine. Ne serais-tu pas un habile comédien qui m’enivre
de ses chansons pour me tirer quelques sols ?
-Eh bien demain
matin nous irons voir ma fusée plantée dans un champ et tu verras que c’est pas
une blague !
-Fusée, quel mot,
quelle trouvaille ! Ne serais-tu pas un
comme moi un peu poète ?
- Terre est le
nom du monde d’où je viens, et il m’a fallu deux ans de vol dans l’espace pour
arriver ici. Ma machine ressemble à un gigantesque suppositoire.
-Parbleu, comme
cette petite chose grasse qui porte les remèdes dans le corps ?
-Merde, vous
connaissez le suppositoire !
-Je n’y peux
tenir… Coccinelle, apporte-moi une lanterne, et toi compagnon, suis-moi : nous
allons voir ton suppositoire volant.
Le serviteur
revint bientôt avec son falot et tous trois sortirent. Chris et le géant
marchaient côte à côte ; le domestique, devant, leur ouvrait le chemin.
-C’est quoi ton nom ? dit Chris.
-Je suis
Guillaume de Grattevent, dit Grattedevant. Il est coutume chez nous d’affubler
chacun d’un surnom, qui sert plus souvent que le vrai.
-Grattedevant,
hum… Original. Et dis-moi tu pèses combien ?
-Deux cent
soixante livres réparties sur six pieds et demi ; mon père dépassait tout
juste les six pieds.
-Ah ! Quand
même ! Beau bestiau…
-Ventre de biche !
De sa lanterne brandie, Coccinelle, soufflant
comme un phoque, éclairait le vaisseau d’acier pendant que Gratttedevant,
ébahi, contemplait les proportions monstrueuses de la machine.
Le lendemain de son arrivée, aux premières
blancheurs du jour, Callard fut réveillé par l’organe tonitruant de
Grattedevant.
-Peste,
compagnon, songerais-tu à paillarder sous la plume, alors que depuis mon lever
la question de ton surnom me chatouille l’esprit ? Il grouille dans mon crâne autant de questions
et de mots que d’asticots dans un estron et par les mille pustules de Bésébutte
nous ne finirons pas le jour sans que je t’aie enfanté un nom digne de toi.
Ils descendirent
à la cuisine. La table était réduite à trois personnes. Grattedevant désigna le
trio.
-Voici mes
coutumiers : Sucebiou, mon régisseur, qui veille à tout, et surtout à mes
richesses –pour couper à ton sourire entendu, chez nous le biou désigne un
petit escargot ou une belle grappe de
raisins-.Voici encore Mange-briques le
besticâtre, providence de mes bêtes et de celles de mes vilains ; enfin Triquemenu mon veneur et
garde-forêts.
Les visages ouverts et souriants se tournaient
vers Callard.
-Ne t’étonne pas de trouver ce matin table
moins large qu’hier : nous fêtions mon dernier mois de célibat avec
quelques gents compagnons. Outre Sucebiou, Mange-briques et Triquemenu que
voilà, il y avait Claquepet, Magotte, Pisse-temps, Courtepine –le cousin de
Triquemenu-, Ramassamègue, Millasson, Caguefigue, Trousseculotte et Pitelugue.
Ah ! Les bons garçons. Vois-tu Chris Couillard, ils ont tiré de vie la
quintessence et savent que boyau et cerveau sont indissolublement liés. Tu n’en
verras pas de tatillons du gosier, de calamiteux de la lippe, de ratatinés de
l’estomac. Ni mange-maigre, ni trogne coincée. Sont-ils des goulus
gourmands ou des gourmets gloutons ? Nous en disputerons. Nul ne peut leur
discuter la qualité d’honnêtes hommes car ils ne mangent point en suisse, en
fourbe, en chattemite. Quand ils attaquent de l’entonnoir, c’est droit la bête !
La large
poigne du géant se posa comme une libellule sur l’épaule de Chris.
-Et maintenant, Chris Qu’a l’art, que
Bésébutte me chaspe jusqu’à la fin des temps si tu ne me dis le mystère de ton
clystère volant et la figure suprenante de ton monde !
-Ecoute, j’ai pas
envie de parler de ma foutue planète aujourd’hui. Quant à ma fusée… voilà une belle réalisation du génie humain !
Le même caillou qui, du cœur de sa machine, pousse mon vaisseau dans l’espace, peut
tuer des peuples entiers… Pardonne-moi, Grattedevant, deux ans de captivité
dans ce navire de merde m’ont donné des idées noires…
Le petit déjeuner
durait. Sucebiou faisait l’essentiel de la conversation, exposait ses problèmes
et sollicitait les décisions de son seigneur.
-Et si tu me
parlais de ta promise, ça te pose pas de problème ?
-Que non Chris
Culard, tu n’es pas comme la poule qui
pose vingt fois son cul avant de pondre. Fille d’un seigneur ami, Hugues de Langalade,
elle a nom Callistéïa, qu’elle porte à merveille et ce nom signifie la
plus belle en grec. Elle est la vraie
image de beauté, sens et finesse
-Grattedevant
parle le grec ? Hum…
-Une pincée de
grec, une poignée de latin. Après dîner je te conduirai dans ma librairie. Qu’y a-t’il
de plus beau que ces étoiles filantes de la pensée ? Un jeu de mots, un
vers : quels cadeaux ! C’est mon père qui m’initia à la poésie, au
mot qui s’illumine. C’était également un homme gourmand, amateur de bonne chair…
D’ailleurs, si tu connaissais les circonstances de ma naissance...
- Eh bien allez,
raconte-moi !
Les paupières de
Grattedevant se plissèrent jusqu’à ne plus former qu’une mince fente et il
accompagna ses paroles d’amples gestes.
-Une nuit d’hiver,
il faisait un froid à faire éclater les
pierres, les rayons de lune gelaient avant de toucher terre et les hiboux,
chats huants, grands ducs, hulottes et autres chouettes n’osaient plus chasser
de peur de rester suspendus, congelés entre deux arbres.
Dans le château
de Bramadisse, mon père et ma mère, enfouis sous quatre couches d’édredon,
s’adonnaient au seul exercice qui puisse vous faire transpirer par une nuit
glaciale. Mon père, dont la devise en amour était « toujours
ardent, toujours prudent », avait, par
je ne sais quelle mégarde, oublié de se vêtir -ainsi disons-nous le fait de se
couvrir le membre d’un long capuchon taillé dans une vessie de porc- de sorte que je pris vie dans cette nuit de
janvier, célèbre en toutes les mémoires. Engendré dans les frimas extrêmes, je
suis chaud lapin ! Enfant de la rusticité hygiénique, je suis poète
lubrique. Comment pourrais-tu me vouloir mal de ma muse pervertie, Chris
Galant ?
Celui-ci ne
trouva rien à rétorquer et se servit une seconde écuelle de bouillie.
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