Amis sportifs, je suis le seul intellectuel 50% sportif;
amis intellectuels, je suis le seul sportif 50% intellectuel;
amis cons, allez surfer ailleurs;
amis, jeunes ou vieux, qui ne voulez pas mourir idiots, venez me rendre une petite visite de temps en temps.

dimanche 26 avril 2015

A PROPOS DE LA REPUBLIQUE DES JOBASTRONS

    Chers petits vampires lecteurs vous aurez compris que ce pamphlet n'a pas été écrit avant-hier ; en fait je l'ai rédigé il y une quinzaine d'années... Mais je l'ai consciencieusement dépoussiéré à intervalles réguliers.
    A la fin des sept chapitres (les sept plaies du modèle contemporain) vous aurez droit à une non-conclusion, voire un additif.

LES DOGMES SACRÉS







IV   LES DOGMES SACRES




    J’entends par dogme toute opinion donnée comme une certitude absolue ; c’est dans ce bois qu’on  taille les religions et les politiques.
    Brandi comme une massue pour écraser tout esprit rebelle, le dogme, même s’il est bâti à l’origine sur une pensée discutable, possède une telle force que peu de gens  osent le remettre en question, alors même qu’il deviendrait nocif. 
    Il y en a trois auxquels j’aimerais faire un sort.

*DOGME DE LA NATALITE
    Quand Jésus a dit –aurait dit- « Croissez et multipliez », la population de la Terre devait approcher le total de nos quatre plus grandes villes actuelles. Vingt siècles plus tard le même slogan fait toujours recette malgré des dérèglements évidents. Je n’ai pas inventé le mot « popullution », et pourtant…
    Quand les générations des baby-booms chinois et arabe vont arriver à l’âge de la retraite –dans pas si longtemps-, que va-t-il se passer ?  Mes prévisions ? Action numéro un : un coup d’accélérateur sur les naissances pour atteindre le quota idéal de quatre actifs pour un retraité (je ne vous parle pas du problème 40 ou 50 ans après). Action numéro deux : puisque l’espérance de vie progresse –un doute m’effleure- je crains qu’il faille repousser l’âge de la retraite à 75 ans.
    J’avais à peine vingt ans que ce problème me tarabustait déjà : il faut dire que j’étais un jeune con qui se posait des questions « à la con » comme disaient les beaufs des années 70.
    Autre question que je me posais et qui n’a pas pris une ride –peut-être quelques kilos- : nous sommes de plus en plus nombreux sur une planète qui a la sottise de ne pas s’agrandir ; sachant qu’il n’y a guère que soixante ans que le mouvement démographique s’est emballé, au rythme actuel, qu’en sera-t-il dans un demi-siècle ?   
    Quant aux effets négatifs de la surpopulation, en voici quelques uns ; à vous de juger s’ils justifient un statu quo démographique :
-disparition des terres arables
-surdensité, donc stress, agressivité,…
-dénaturation des paysages
-conurbations sans espaces tampons (Japon, Chine, USA, Europe)
-villes peuplées comme un pays (le grand Tokyo= 38 millions d’habitants)
    Prise sur la campagne, une maison en plus c’est des animaux en moins [insectes, oiseaux, rongeurs] ; qu’en diriez-vous si vous étiez une de ces bêtes ?
    Et quand j’en entends se pâmer sur les villes-monde je redoute le jour où le monde sera une ville. 
  
*DOGME DE LA CROISSANCE
    De quelles volées de bois vert ont été rossés les altermondialistes quand ils ont parlé de croissance zéro et pourtant il semble évident que nous sommes devant une impasse. Outre les fameuses pannes de croissance -de plus en plus fréquentes et longues- il est clair, même pour un enfant de dix ans, que le prix à payer pour maintenir ce dogme à son zénith sera exorbitant (mais ce ne sera pas nous qui règlerons la note).     
    Dans un monde en route vers huit, puis neuf milliards d’habitants, la croissance continue suppose des prélèvements « à blanc » sur les richesses de la planète : démentez-moi si vous le pouvez !   
    Croyez-vous, par exemple, que granulat et ciment se reproduisent spontanément ou faut-il envisager pour leur extraction d’araser quelques reliefs, chez le voisin si possible ? D’après vous, que reste-t-il d’un paysage quand tout le schiste bitumineux en a été extrait ?
    Enfin, c’est au dogme de la croissance  perpétuelle que nous devons tous les dommages collatéraux que solderont nos descendants (produits chimiques dans les sols, dépôts de matières nucléaires, stocks de poissons proches de l’épuisement,…).
    La décroissance est-elle souhaitable ? Une autre croissance est-elle possible ?  Ça, c’est un autre problème parce que ceux qui profitent le plus de ce dogme se sont rencognés dans une niche inexpugnable, comme un crabe dans son trou de roche quand il nous a aperçu, et ils ne sont pas près d’en sortir, le monde dût-il s’écrouler autour d’eux. 

*DOGME DE LA VITESSE
    Mais qui a dit que tout devait se faire rapidement ? A quoi me sert d’accélérer, si ce n’est d’aller plus vite à ma fin ? Quel est le dolichocéphale qui a fait rimer temps et argent, auquel d’autres ont rajouté business et vitesse, rapidité et rentabilité, vélocité et efficacité ?
    Cette maladie du chrono, du score et du record, a gangréné toutes les sociétés -mais pas tous les individus- : des JO sans records du monde, ni chiffres historiques de spectateurs ou de sommes investies, rapetissent à vue d’œil ;  ne pas améliorer le temps de déplacement d’une ville de province vers la capitale sonne comme une indignité nationale ; la communication à la nanoseconde nous paraîtra un jour d’une insupportable lenteur.
    Je ne sais pas où se situe le paroxysme de cette « dromomanie » (je sais, j’avais promis de surveiller mon vocabulaire, mais je n’ai pas pu tenir) pourtant j’en vois aussi clairement les effets pervers que j’ai peine à en discerner tous les bénéfices. Certes, je communique et je m’informe plus rapidement, des produits me parviennent dans un temps raisonnable, je peux rejoindre mon cousin de San Francisco en une journée, néanmoins le revers de cette accélération constante c’est : 
-une intrusion de la vie professionnelle dans la vie privée, la fluidité de la communication aboutissant au travail à domicile non rémunéré, via internet.    
-un esclavagisme (pour l’instant) rampant : produire plus, en moins de temps et en diminuant le personnel.
-l’ouverture à la délocalisation : si les chaussures chinoises devaient faire un mois de bateau à voile sous les coups de tabac et les attaques de flibustiers elles seraient encore fabriquées en France !
-l’obsolescence perverse : seule une usure précoce peut assurer un renouvellement rentable des produits.
-l’anticipation mortifère : il est vrai que, dans une certaine mesure, anticiper c’est se donner une prise sur les évènements (dans ce cas pourquoi ne s’alarme-t-on pas de ce que sera notre monde au siècle prochain ?) mais cette maladie d’avoir un temps d’avance devient presque monomaniaque. J’ai tout faux ? Bien. Lisez les publicités de votre boîte aux lettres : on vous vend les cartables de la rentrée fin juin, les cadeaux de Noël fin octobre, les chocolats de Pâques en plein février. Des Jeux Olympiques sont à peine finis qu’on nous inonde des suivants, même à huit ou douze ans de distance. Déjà que la vie a tendance à passer vite…

samedi 25 avril 2015

L'ABANDON DE L'ÉCHELLE HUMAINE



                           



                          III   L’ABANDON DE L’ÉCHELLE HUMAINE





                                                                                                                                                                                                                        En  abordant ce sujet je peux m’attendre à une dégelée verbale à base de passéisme, poujadisme,pensée réactionnaire, mais depuis quarante ans mon cuir s’est endurci et, dans la mesure où la plupart des problèmes ne se sont pas atténués, je ne vois pas pourquoi j’aurais dû m’assouplir.

    Venons-en au fait en partant d’une idée simple : plus nous négligeons l’échelle humaine, plus nous favorisons un monde paranoïaque, schizophrène, déshumanisé, hyper-réglementé, aux mains de puissances nébuleuses [banques opaques, multinationales, fonds de pensions,…].
   La révolution industrielle a, certes, enclenché le mouvement, mais c’est la poussée de l’après-guerre qui a balayé le concept d’échelle humaine et on ne saurait dire jusqu’où peut aller le gigantisme, que ce soit dans l’extension des villes, la hauteur des bâtiments, les moyens de destruction, de démolition, de construction, de production et de transport.
    Très longtemps l’échelle humaine a été la norme de notre monde ; en la dépassant –d’une certaine façon en la niant- nous avons ouvert une boîte de Pandore. Car le monde gigantisé par l’homme aboutit, par un effet naturel des proportions, à considérer les humains minusculisés comme nous considérons les fourmis quand nous les écrasons du doigt ou du pied.
    Nous avons, globalement, enterré cette idée de proportionner nos réalisations à notre dimension ; par exemple, là où à une époque on avait besoin de deux hectares pour édifier un village on construit aujourd’hui un stade de football ; un projet d’aéroport engloutit deux mille hectares comme s’il s’agissait là d’une surface négligeable. Au moment où les terrains se raréfient, notre gourmandise est sans limites.                                                                                                                                                 Deux inventions, en particulier, ont rendu possible ce dépassement de l’échelle humaine :   l’ascenseur et la voiture. L’ascenseur a permis l’élévation vertigineuse des bâtiments  -au point que l’on va avoir des tours de 1000 mètres- ; en effet, sans ascenseur il est difficile de concevoir un édifice de plus de huit niveaux : pour comprendre cette contrainte, montez vingt étages avec un filet à provisions bien plein dans chaque main.
    L’entassement dans des quartiers d’immeubles étouffants ne semble pas gêner les asiatiques mais je doute que cela n’ait pas un effet sur leur psychisme ou leur comportement social. Je suis également à peu près convaincu que la vie dans un horizon bétonné est aussi délétère que la contemplation de la mer, d’une perspective forestière, du paysage au sommet d’une montagne apaisent, chez tout homme normal, les émotions, les sentiments et les pensées.
    Dans une ville ceux qui habitent un étage inférieur, ceux qui marchent, se retrouvent dans un univers carcéral : l’échappée de ciel se réduit, celle constituée par les espaces de nature s’éloigne. Ayant laissé filer le mal de la surdensification démesurée –à cause des urgences de l’après-guerre nous dit-on- nous l’avons ensuite compensée par une autre maladie : l’extension horizontale, l’étalement par vagues successives de lotissements où règne la maison individuelle –rêve légitime de chacun. Et après le désagrément de ne voir le ciel qu’en se tordant le cou, voilà celui de mourir d’ennui en traversant l’architecture clonée des pavillons qui engloutit prairies, maraîchers, haies bocagères, bois,… Qui a traversé Los Angeles en bus du nord au sud s’est fait une idée de la monstruosité que peut atteindre l’étalement urbain.
    Une nouvelle fois nous traitons les effets plutôt que les causes : pourquoi faut-il entasser les gens dans des tours, ou les disperser dans des villas à perte de vue ? Parce que nous sommes si nombreux, et toujours plus, que les besoins en logements sont inextinguibles. Alors, le béotien que je suis répond : et si nous envisagions d’être moins ? A ce moment tous les loups se lèvent d’un bond et hurlent à la mort un mot gri-gri : malthusianisme ! La plupart des cuistres qui vous jettent ce nom à la figure n’ont pas lu une ligne de l’Essai sur le principe de population et négligent que Malthus a vécu à une époque où la Terre ne comptait qu’un milliard d’habitants, qu’il était issu d’une famille aisée      (contrairement à moi), qu’il n’avait rien d’un amoureux de l’environnement. C’est pourquoi –une fois retenu  l’idée de dépopulation- je n’éprouve pas de sympathie pour Malthus et je me tamponne avec cette analogie.
    Nous avons fait disparaître de nombreuses espèces végétales et animales, nous combattons férocement toute espèce invasive (cafards, fourmis, sangliers,…) mais nous proliférons sans réaliser que notre nombre est devenu un problème. Et rien ne prouve que les pays à petite population sont les plus démunis ? Sinon, que dire de la Norvège, de Panama, du Canada ?

    La voiture nous a affranchis de l’empêchement par la distance. Chacun sait que les divisions administratives prenaient en compte, à l’origine, la capacité de se transporter d’une limite à une autre, à pied, à cheval, en voiture hippomobile. La voiture a fait exploser ces contraintes ; au XVème siècle, habitant au centre d’un bourg, il ne m’était guère concevable de posséder un potager à plus d’une demi-heure de marche de mon domicile ; aujourd’hui dans le même temps j’abattrai bien vingt kilomètres !
    De même un travailleur –artisan, ouvrier,…- quand il n’habitait pas sur place, se logeait à quelques pâtés de maisons de son échoppe ou son atelier ; de nos jours des cadres travaillant à Manhattan roulent cent kilomètres chaque jour pour regagner leur villa du Connecticut.
    L’automobile est un incroyable outil d’autonomie, de mobilité, de possibilités de services, mais la démesure de l’homme en a fait un fléau : pollution atmosphérique, dévoration des espaces, déchets plus ou moins recyclés.
    Là aussi le fatalisme que suscitent les problèmes d’environnement abat sa main de fer sur les populations et plus personne ne s’indigne que chaque matin les embouteillages paralysent les métropoles du monde, dans un insensé gaspillage de temps, de carburant, d’air pur et d’énergie humaine.
    Ce que certains appellent un « mal nécessaire » est en fait le résultat d’un abandon : celui de l’échelle humaine. A tel point que le problème, n’étant plus de notre dimension, nous le gérons par des mesures de surface (convaincus qu’il est une fatalité) qui sont comme un sparadrap sur une jambe en polyuréthane.
    Pour clore cet article je voudrais dire un mot sur l’hyper-automatisation ; je suis prêt pour ce faire, à accepter tous les qualificatifs qu’on voudra : crétin, obtus, courte vue, bon sens près de chez vous,… mais je ne peux passer sous silence un processus aussi criminel –il tue des emplois- que paradoxal –il jette de l’essence sur le feu-.
    Tout économiste dûment qualifié m’objectera que fabriquer un automate crée des emplois (un concepteur, un fabricant, d’éventuels opérateurs et réparateurs) mais je serais  curieux de voir un tableau comparatif des postes pérennes et des emplois perdus.
    Alors que les gens peu qualifiés vont grossir les rangs des chômeurs –et tout le monde n’a pas les moyens de devenir ingénieur en aéronautique-, les robots s’emparent des tâches qu’ils pourraient remplir. Je pense de plus en plus que la question du travail n’est pas seulement économique, sociale, pédagogique, que sais-je encore, elle est aussi philosophique. La machine qui seconde l’homme est un progrès, mais celle qui le remplace, et donc l’élimine ?
    Qu’aucun de nous ne se sente à l’abri, les projets de robots peuvent toucher n’importe quelle profession : construction, santé, enseignement, agriculture,…
    Dans le domaine artistique le robot-peintre doit être, d’ores et déjà, réalisable ; seule sa rentabilité retarde sa naissance. Quand le marché de l’art en aura assez des fantaisies des plasticiens cette machine sera construite. Couplée à un ordinateur nourri de toute la gamme des couleurs, des techniques, des sujets, des pensées d’artistes, elle produira le tableau désiré par le consommateur. Les futurs Monet, Dali, Soulages, pourront aller se rhabiller.
    Pour finir, l’hyper-automatisation a bouleversé l’échelle des valeurs, renvoyant au Moyen Age  les moyens les plus nobles du travail humain. Les quatre mots qui suivent sont-ils dans un ordre croissant ou décroissant ?
    L’instrument, l’outil, la machine-outil, le robot.

  NB : Désolé pour le décalage de la ligne 4, le robot ordinateur m'a trahi et refuse de m'obéir !

vendredi 24 avril 2015

LA SATURATION






II  LA  SATURATION






     Il s’agit là  d’un phénomène bien particulier à notre époque, qui a tendance à s’amplifier et dont on ne voit pas comment il va s’améliorer.
    Je ne parle pas d’un problème ponctuel [comme lors d’un pic de travail] mais d’une omniprésence qui infiltre notre quotidien et dont on doute que l’influence soit bénéfique.
    Les pauvres péquins que nous sommes subissent trois saturations criantes :

1-AUDITIVE
    Nous avons bâti un monde bruyant ; certes, dès la préhistoire les habitants des cavernes devaient se plaindre des barrissements désordonnés du mammouth et des éclatements intempestifs du tonnerre, mais il faut avouer que depuis nous avons perfectionné les machines à décibels : motos, voitures, camions, hélicoptères, avions.
    Le grand jeu –pour ceux qui en ont les moyens- consiste à utiliser les instruments du bruit pour y échapper : ainsi, après avoir bousillé les oreilles de quelques autres grâce à ma voiture, mon jet et enfin mon hélico, je peux goûter un silence bien mérité dans mon chalet alpin.
    C’est donc un fait, nous vivons dans un univers assourdissant (vous aurez noté la rigueur quasi-scientifique de ma démonstration) ; pourtant, comme si cela ne suffisait pas, certains s’ingénient à rajouter du bruit au bruit, vous l’aurez remarqué ! Qui peut échapper à la musique d’ambiance de certains magasins, à l’augmentation insidieuse du volume  à la radio, à l’agression auditive des bandes son de moult films. On peut imaginer l’effet de cette cacophonie sur notre pouvoir de concentration et d’analyse.
    Nos oreilles sont prises dans un étau impitoyable et la profession d’audioprothésiste a de beaux jours devant elle.
    La surdité n’est pourtant pas une solution : imaginez que vous ne puissiez plus capter les murmures d’un ruisseau ou d’une voix aimée, le craquement d’un pain ou d’un croissant frais !

2-VISUELLE
    La saturation visuelle commence dans la contemplation du paysage urbain ; vous avez noté que l’œil, face à un décor de forêt et de montagne, se nourrit sans se rassasier, alors que le spectacle d’une ville livrée à l’anarchie architecturale le sature assez vite. Dans les rues de Manhattan, ombrées par les buildings de verre noir,  l’espace calmant du ciel finit par manquer.
    A cette occupation oppressante de notre champ visuel que provoque le monde urbain sont rajoutées des extensions qui, accumulées, modifient notre perception, notre acuité, notre échelle des valeurs. Je pense en particulier que la publicité –affichée ou implicite-, cette putain aguicheuse qui a squatté notre environnement, nous a changés : la France, patrie entre autres des églises romanes, des châteaux de la Loire, de la cité de Carcassonne et du mont Saint-Michel, accepte sans broncher le merdoiement des panneaux vantant déodorants et hamburgers à l’entrée des ses agglomérations, quand celle-ci n’est pas envahie par les magasins-hangars dont chaque façade constitue une pub criarde, surdimensionnée, un insulte permanente au sens des nuances.
    Dans l’espace public l’œil est saturé de couleurs et de formes agressives, d’appels, d’infos, de sollicitations, mais l’intimité, les lieux privés ne sont pas mieux lotis, l’offensive visuelle se répandant par tous les écrans que nous regardons plusieurs heures chaque jour.
    Je crains que cette saturation anesthésie notre capacité à réagir face à la laideur, le confinement et une forme de brutalité urbaine.*

3-MENTALE
    J’arrive au plus grave ; c’est là que « big brother » est tapi, tirant les ficelles de ses marionnettes. Le système a été si bien mis en place qu’une dictature mondiale qui saurait l’exploiter pourrait prendre le pouvoir en douceur, sans armée, sans déclaration de guerre.
    L’intention de départ de ceux qui ont installé ce système n’était pas de tyranniser les gens, seulement de les exploiter, c'est-à-dire de les rendre malléables dans un marché du travail qui tend vers un esclavagisme à visage humain et disponibles pour des achats dirigés en fonction des produits fabriqués plutôt que de leurs propres besoins.
   Si vous voulez disposer d’un robot humain de cette sorte vous n’avez que deux possibilités : la terreur ou l’intoxication intellectuelle. La recette utilisée pour nous soumettre emploie ces deux ingrédients à doses inégales : la proportion de cette soupe de pouvoir c’est une pincée de trouille (perte d’emploi, déclassement) dans une poignée d’intox. Et il faut admettre que ça marche : regardez comme la finance nous tient serrés, comme certains grands groupes industriels disposent de la main-d’œuvre selon leur bon vouloir, enfument les gouvernements, sauvegardent leurs sous dans les paradis fiscaux, éliminent les petits producteurs, les courageux indépendants, les rebelles. Si ça n’est pas de l’efficacité…
    Et bien, pour obtenir un si beau résultat il faut avoir préparé un terreau cérébral d’une souplesse et d’une perméabilité exceptionnelles ; la saturation mentale c’est à la fois la binette qui ameublit les récalcitrances, l’intrans qui investit l’esprit humain, le pesticide qui combat la pénétration des produits concurrents.
    Je pourrais remplir un conteneur des parasites qui concourent au phénomène de saturation mais je vais juste m’arrêter sur deux d’entre eux : l’info et la pub.
    Dans la cataracte médiatique qui nous inonde en continu, il y a un peu de savoir et de culture noyés dans un flot de nouvelles qui sont autant de briques de sable sec : quand on enlève le moule, des pans entiers du mur cognitif (ah, merde, je m’étais promis de ne pas faire l’écrivain) s’effondrent sur eux-mêmes. Il ne reste rien ; soit vous avez oublié ce qui était parfaitement oubliable, soit vous avez mémorisé mais vous disposez d’un matériau creux, totalement inutile.
    Il me semble que la culture, l’esprit critique, la faculté de réflexion et d’analyse, se développent comme le pétrole s’est constitué dans le sous-sol : il faut des couches de sédiments, une réaction chimique et du temps. La saturation mentale par le robinet médiatique empêche cette maturation et comme il y a des robinets partout, grand’ ouverts en permanence, il est difficile d’y échapper.
    Quand j’entends pour la dix-septième fois de la semaine les détails atroces du meurtre d’une joggeuse par un pervers, le bon rendement de mes neurones est compromis.
    Ne faut-il pas être anesthésié pour résister aux chapelets de désastres économiques qu’égrènent complaisamment journalistes et spécialistes? Tous ces beaux messieurs qui dissertent savamment sur l’économie –bonjour les prévisions foireuses- et le marché du travail –bonjour le catastrophisme, pire qu’un écolo- n’ont donc jamais envie d’appuyer sur pause et de se poser quelques questions connes du type « Et si on abordait le travail sous un angle philosophique ? L’emploi est un outil de promotion, de socialisation, ou d’oppression ?  Si une machine crée trois emplois et met au chômage vingt personnes, pourquoi créer ou acheter la machine ? A ce train, qui aura les moyens d’acheter les produits de la machine ? … »
    Il est évident que l’inondation informative, par la saturation mentale qu’elle engendre, amoindrit notre capacité à réagir, à nous défendre, à rester libres. Nous nous retrouvons écrasés par l’ampleur, la fréquence et la rapidité des problèmes exposés. Le tour est joué : à moins de posséder un esprit d’une force inouïe, on abdique et on se contente des quelques verroteries compensatoires qu’on nous octroie telles que produits frelatés à l’obsolescence programmée, programmes télé consensuels et bas de plafond, mondes virtuels enchaînés à l’électronique et l’informatique.

    La saturation par la publicité est tout aussi nocive ; au départ il y a la légitime aspiration d’un fabricant à faire connaître son produit ; à l’arrivée, les décennies passant, il y a une implacable machine à décerveler.
    Amateur de radio, j’ai abandonné plusieurs stations à cause de ces interruptions dans le fil d’une émission que je subis comme une véritable agression ; l’invité intéressant n’a pas le temps de répondre à une question qu’on lui pose la suivante, et au moment où il commence à développer, l’animateur l’interrompt pour introduire une page de pub et tout son cortège d’ersatz de la vie [faux enjouements, dynamisme outré, voix de femmes-enfants ou d’hommes hypertestostéronnisé, propos lénifiants ou gnangnans] .
    Comment peut-on admettre qu’un film soit interrompu pour vanter les mérites d’une charcuterie ou  d’un tampon hygiénique ? Pourquoi ne pas demander aux musiciens en concert de s’arrêter au milieu d’un morceau pour laisser passer un homme-sandwich ? Pourquoi ne pas masquer périodiquement les chefs-d’œuvre du Louvre (par exemple, la vitre qui protège la Joconde deviendrait opaque et diffuserait une pub pour le Géant des Beaux-Arts) ?
    De quel droit saucissonne-t-on un film dans lequel le cinéaste et son monteur ont construit une progression dramatique et installé une atmosphère ?
    Vous voyez où je veux en venir : il s’agit d’un véritable abus de pouvoir. La publicité m’empêche de voir le film dans sa continuité originelle, elle ne me permet pas d’écouter une pensée qui demande à s’exprimer à la radio, elle arrive même à transpercer le filet téléphonique que je dresse contre elle pour protéger mon intimité domestique.
    Messages insanes ou lobotomisants, discontinuité de la pensée, interruptions dans ce qui est structuré : allez vous étonner que bien de nos contemporains –et parmi eux des jeunes, hélas- aient du mal à se concentrer plus de dix minutes. Messieurs les professeurs, je vous conseille, pour un cours légal de cinquante-cinq minutes, quatre séquences comprenant cinq de théorie, cinq d’exercices et trois de pub ; vous verrez, plus d’élèves décrocheurs. Que la grande machine à pipeauter de la secte des pédagocérébropignoleurs me dévore tout cru si nous ne faisons pas exploser les quotas aux examens.
    Ceux qui n’ont pas la matière grise liquéfiée pas la saturation auront noté qu’il y a dans mon cours un reste de trois minutes : c’est le temps consacré aux « mouvements » [s’asseoir, ouvrir sa trousse, demander un exo à Momo, …], et je suis modeste !


*Je crois que beaucoup de paysages urbains, présentent un « profil d’équilibre », c'est-à-dire un stade jusqu’auquel les différents éléments qui les composent atteignent une note juste, une harmonie indiscutable : au-delà, la beauté miraculeuse du lieu est corrompue, avant de se désagréger sous l’effet d’une urbanisation qui en avait été jusque-là l’ornement.
    Ce n’est pas une question d’architecture moderne ou pas, c’est une question de proportions : dans un site de caractère l’équilibre entre le bâti, les espaces ouverts, des collines, des bois ou une rivière,  atteint parfois ce point d’harmonie où les aménagements deviennent problématiques.
    Ainsi, le viaduc de Millau, monstre de béton dans un paysage exceptionnel, est d’une harmonie parfaite, alors que l’admirable panorama des environs de Saint-Paul de Vence a été vandalisé, le profil d’équilibre ayant explosé dans l’invasion des villas qui mitent toutes ses perspectives.

jeudi 23 avril 2015

LE MEPRIS DE L'ENVIRONNEMENT



                                             
     D'aucuns s'étant amèrement plaint de la disparition des Sept plaies du modèle contemporain je vais rétablir les sept chapitres de ce pamphlet. 






                                      I       LE MÉPRIS DE L’ENVIRONNEMENT





    Me croirez-vous si je vous dis qu’en 1970 j’ai attrapé subitement une maladie dont je ne me suis jamais guéri ? C’est pourtant la vérité : à un âge où mes contemporains s’intéressaient surtout aux flirts et aux bagnoles –ceci dit les filles m’intéressaient aussi- je suis devenu écologiste ; pour être plus exact (et bien que je connusse déjà à l’époque le sens des mots écologie et écologiste) je suis devenu sensible aux problèmes de notre environnement, voire hypersensible.
    Cela vous paraît banal ? Alors replacez-vous dans le contexte : les Français de l’époque se fichaient comme d’une guigne de l’environnement, sauf comme cadre de leurs week-ends ou de leurs vacances. Il n’y avait pas encore eu de choc pétrolier ; la machine économique marchait à plein régime ; c’était la  grande époque de « l’aménagement du territoire ».
    Pourquoi un petit con de dix-neuf ans, pas plus intelligent que la bonne moyenne, a-t-il été envahi par ce sentiment d’une précarité de la nature ? Pourquoi a-t-il persévéré dans ces idées nocives, alors que la plupart de ses condisciples le traitaient de « passéiste, d’anti-progrès, de rabat-joie » et que ses amis –communistes- de l’UNEF commençaient invariablement leurs phrases par « l’environnement c’est bien, mais … » ; oui, pourquoi ?
    Il y avait bien eu le Club de Rome, LE PRINTEMPS SILENCIEUX de Rachel Carson, mais tout cela suffit à se bâtir une opinion, une conviction, pas une certitude émotionnelle aussi profonde qui, loin de vous donner le sentiment d’appartenir à une élite, vous jette dans une souffrance, parce que vous doutez, que vous rencontrez des indifférents et des  hostiles, que vous constatez matériellement les dégradations que nient ou minimisent la majorité des autres.
    Je pense que vous comprendrez mon scepticisme à l’encontre de la plupart des politiques dites de l’environnement. Permettez-moi d’abord une brève comparaison… dans ma carrière j’ai rencontré pas mal de religieux : quelques uns –admirables- portaient leur religion à l’intérieur d’eux-mêmes, brûlés d’une conviction qui ne pouvait laisser insensible ; beaucoup ne la portaient que dans leur insigne –croix, lévite, crosse, turban,…- et quand je cherchais à creuser je ne trouvais que la carapace commode d’une pensée fonctionnaire ou, pire, un salmigondis d’idées vides de moelle, parfois même une forme de manipulation au moyen de discours mielleux, de concerts de bonnes intentions. En matière d’environnement c’est le même tabac : la plupart des décideurs mentent ou se mentent parce qu’ils n’ont pas cette cause chevillée à l’âme.
    Les plus admirables sur ce chapitre sont les politiciens et les hommes d’affaires, même si je n’oublie pas mes amis écologistes. Il m’a été donné de lire dans leurs regards ; je me souviens en particulier de celui de M. Jacques Médecin –homme d’un incroyable entregent- que j’ai retrouvé chez tant d’autres ; pour lui un défenseur de l’environnement était soit un emmerdeur, soit un jobastre, soit un pauvre couillon. Qu’il fût l’un ou l’autre l’écologiste de service recevait le même traitement à base de pilules lénifiantes, de potions ironiques et de sirops d’indignations.
    Combien de fois les ai-je entendus ces poncifs commodes ? Je pourrais les reprendre à la manière de la tirade des nez dans CYRANO :
Condescendant… vous voulez revenir à la bougie, à la grotte, à la préhistoire
Docte… c’est la rançon du progrès, c’est le sens de l’Histoire
Vertueux… c’est pour créer des emplois, de la richesse
Hypocrite… les petits oiseaux c’est bien mais une nouvelle ZAC c’est bon pour le commerce local
Vindicatif…  vous vous opposez donc au progrès, à la croissance
Indigné… vous voulez nous tuer dans la compétition internationale.
    Et le vilain écolo de repartir tout penaud, gros-jean comme devant, conscient d’être un arriéré, un empêcheur d’aménager en rond, un destructeur d’emplois, et pourtant intimement pénétré de la conviction qu’ils sont en train de bousiller son monde.
    Bien que me rendant enragé cela avait au moins le mérite de la netteté : il n’y avait rien à attendre de ces barons d’un nouveau moyen-âge déguisé en modernisme. MAIS survinrent, tombant sur l’humanité comme la vérole sur le bas-clergé, quelques séismes économico-environnementaux [choc pétrolier, accidents nucléaires, marées noires,…] qui donnèrent naissance à une nouvelle méthode de gestion des écologistes ; le faux-culisme, l’enfumage –je n’ose dire l’entubage- systématique.
    Je crois que le pire de tout c’est le fameux IL Y A URGENCE ; ça  fait quarante ans qu’il y a urgence, qu’on nous ballade de sommet de la Terre en sommet de la dernière chance qui ne servent à rien : à chaque fois le mammouth accouche d’un pet de souris.
    J’y ai cru ; d’une naïveté inimaginable, je pensais que la défense de l’environnement serait temporaire, que lorsque les problèmes seraient réglés l’écologie reviendrait à ses origines, une simple discipline scientifique. Non seulement la plupart des problèmes n’ont pas été résolus mais ils ont été aggravés, et comme la technologie a spectaculairement progressé notre pouvoir de nuisance est devenu terrifiant. Terrifiant ! Vous allez penser que je suis un adorateur de la catastrophe, une espèce de cassandre andropausée : erreur. Demandez autour de moi, je suis un optimiste du quotidien… avec très peu d’espoir pour le futur.
    Je ne crois pas à l’apocalypse, vision presque cinématographique de la fin de notre monde ; mourir sur une musique de Wagner noyés par tsunamis et inondations du siècle ou pulvérisés par une comète assassine, ça a de la gueule, ça flatterait presque notre goût du spectacle morbide ; je crains plutôt un pourrissement, l’avènement d’un monde paranoïaque, concentrationnaire, injuste et esclavagiste. Ceux qui trustent pouvoir et richesse saccagent et continueront à saccager le monde, à moins que… L’extraction de toute ressource ira jusqu’à son extrême. Et ne me dites pas que vous ne l’avez pas vue la face de rat de la cupidité, celle qui est prête à tout vendre, père et mère compris, celle qui fait fi de l’existence des autres. Et je dis bien cupidité, pas enrichissement.
    Aujourd’hui les gouvernements sont impuissants, ils n’arrivent pas à mettre au pas la finance véreuse, imaginez comment ils vont arrêter le pillage mondialisé ; à défaut d’un homme d’une trempe exceptionnelle, la messe est dite. Nous sommes aussi responsables : moi et quelques autres de notre impuissance, vous d’attendre que ça passe, que ça se tasse. Si la situation a pu autant se dégrader, si les politiques ont persévéré dans leurs aberrations, si les « businessmen » ont pu mettre la Terre à sac, c’est parce que les peuples ont tout accepté.
    Le peuple c’est cette espèce de gros pudding –ou poudingue- composé de trois matériaux inégaux :
1 A ma gauche, la famille écolo, c'est-à-dire tous ceux que l’on assimile à cette mouvance
    -les Verts ; à part quelques moments heureux (Brice Lalonde, Huguette Bouchardeau, par exemple) en dessous de tout, incapables jusqu’à présent de transformer un capital de sympathie en véritable force de frappe, ils professent une écologie teintée de parisianisme et ont l’art de s’exciter sur des problèmes secondaires (au vu de urgences planétaires) tels que le mariage pour tous, la régularisation des sans-papiers,…
    -défenseurs d’ordre divers, qui permettent aux « anti » de caricaturer tout ce qui est écolo et de pratiquer sans efforts d’analyse l’amalgame à grande échelle : mouvements anti-chasse, anti-corrida, anti-viande, SPA,…
2 Au centre, moi et quelques couillons (dont d’éminents intellectuels), insuffisants –on ne s’investit jamais assez-, débordés, dérisoires et parfois excessifs.
3 A ma droite, tous ceux qui regardent les écolos avec un sourire amusé, compatissant, cynique ou irrité, en fait
    -une majorité d’indifférents ; les uns recréent un monde parfait dans le jardin de leur villa ; les autres consomment l’environnement par l’image, attendant les vacances pour un bain de nature dans un endroit plus ou moins préservé ; certains, enfin, s’en foutent vraiment.
    -une partie pas si infime d’hostiles ; intellectuels exaspérés par le catastrophisme –et je les comprends-, décideurs obnubilés par les dogmes de la croissance et du développement, hommes d’affaires pour lesquels l’environnement n’est qu’une réserve de richesses potentielles.
    Si nous avions défendu avec acharnement notre capital environnemental depuis quarante ans nous aurions peut-être perdu moins d’emplois vu que nous aurions conservé une logique de proximité et de production liées à des ressources pérennes non délocalisables.
   A ce propos, je peux vous parler d’écologie par l’unique biais de l’eau : pour être né au bord de la Méditerranée, à trois rues du port de Nice, je suis marqué à vie par l’amour de l’eau. Mers, lacs, torrents, rivières, tout est bon pour me baigner, pêcher, ramer, surfer, naviguer. Une partie non négligeable de mon existence s’est passée sur, dans et au bord de l’eau, alors qu’on ne vienne pas me dire de conneries : l’état des eaux est alarmant depuis belle lurette mais, dans une sorte de fatalisme impuissant face au « progrès », nous préférons payer très cher pour remédier aux effets de la pollution plutôt que de nous attaquer à ses origines.
    Or il y a un principe : toute pollution, toute atteinte à l’environnement engendre des frais ou un manque à gagner qui tôt ou tard ne sera pas -plus- équilibré par l’activité qui les a engendrées.
    Le problème est que celui qui provoque l’atteinte est rarement celui qui perd de l’argent ou doit assumer les réparations.
    Entrons dans la chair du sujet : la France ça n’est pas le désert de Gobi ; nous possédons un réseau hydrographique exceptionnel par sa quantité, sa variété, son étalement géographique. Qu’en faisons-nous ? Pour le mieux, de l’électricité ; insuffisamment, des voies de transport ; pour le pire, des déserts piscicoles. Deux exemples suffiront.
    Promenez-vous à Lyon sur les bords de Saône et du Rhône, lisez les panneaux interdisant la consommation des poissons puis regardez ces masses d’eau douce interdites à la pêche professionnelle tandis que nous faisons venir de lointains pays des poissons de productions douteuses (perches du Nil, pangas, saumon d’élevage) et que nous puisons dans les stocks fragiles des poissons de fond (grenadiers, empereurs, lingues). Comment appelez-vous un si beau résultat : du gâchis, de l’incompétence, du j’m'enfoutisme ?
    Je garde précieusement dans un tiroir une reproduction de carte postale ancienne de deux auvergnats vendant des saumons énormes sur une charrette à bras, dans une rue de Brioude au début du vingtième siècle. Ça ne remonte pas à la préhistoire ; essayez de remplir une charrette aujourd’hui… Comment vous appelez un si beau résultat : un progrès ou une dégringolade ?
    La deuxième grande atteinte à la Nature c’est l’extension, absolument pas maîtrisée, des villes ; on souffre à imaginer ce que les cinquante prochaines années engendreront au vu des deux derniers lustres. Pour une fois, et pour m’économiser une démonstration, je vais céder aux sirènes des chiffres.
    -Los Angeles, dont les 2/3 de la surface sont dévolus à l’automobile, s’étend sur deux-cents kilomètres dans sa plus grande longueur ;
    -le grand Tokyo (2156 km2) atteint la surface des Yvelines et la population de la Pologne, de Tokyo à Fukuoka la conurbation couvre 1000 kilomètres ;
    -le Boswash, mégalopole englobant Boston, Baltimore, Washington, New York, Philadelphie, ponctuée d’espaces naturels qui se réduisent comme peau de chagrin, occupe 800 kilomètres du nord au sud ;
    -au Bangladesh, 156 millions de personnes vivent sur un territoire équivalent à un gros quart de la France (144 000 km2) ; au Canada, ils sont cinq fois moins sur 33 000 000 de km2 (n’en vivant pas plus mal) : tout cela est-il bien raisonnable ?
    Si je garde quelques raisons d’espérer c’est que je vois l’empilement implacable des preuves en marche vers l’insoutenable ; j’attends des ralliements de tous les cocus auxquels on a promis emploi et bien-être en échange d’un sacrifice environnemental ;  je vois des jeunes qui vivent la défense de l’environnement avec leurs tripes –notamment ceux qui se battent contre le projet de Notre-Dame des Landes, monstre ressurgi de la préhistoire économique- et qui, contrairement à ce que pense les esprits chagrins, ne se laissent pas lyophiliser par le monde technologique et publicitaire.
    Je suis moins optimiste quant à la majorité qui ne bougera que le jour de la grande trouille, quand –et Dieu fasse que je me trompe- ils se réveilleront complètement prisonniers d’un monde artificialisé et financiarisé où ils ne seront que des androïdes interchangeables, ou même le révolté aura du mal à trouver des lieux où tenter l’autosuffisance.
    Et pourtant, il y a de quoi avoir envie de combattre : la défense de l’environnement est éminemment sociale ; n’avez-vous pas remarqué que ceux qui projettent, financent et réalisent la rocade qui fera de votre logement un petit enfer sont les premiers à se construire une maison dans un coin préservé de la côte méditerranéenne ou à investir dans quelque résidence insulaire des océans indien et  pacifique ?
    Enfin, n’est-il pas injuste que les amoureux d’espaces naturels –surtout ceux qui n’ont pas besoin d’un moteur pour entrer en communion avec elle- voient sans cesse leurs territoires se restreindre, alors que ceux des urbanophiles ne cessent de s’étendre ?
    Et ceux qui seraient tentés de voir en moi un de ces citadins démoellés qui se rêvent en néo-ruraux je les invite à venir tailler la vigne avec moi en plein mistral hivernal ou à participer à une journée de bûcheronnage. Pour moi, la campagne n’existe pas sans les paysans ; quant aux urbains qui vont s’installer à la campagne et qui se plaignent –parfois jusqu’au procès- de la bouse de vache dans les rues, du bruit des tracteurs et du chant du coq, vous pouvez imaginer ce que j’en pense.