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samedi 25 avril 2015

L'ABANDON DE L'ÉCHELLE HUMAINE



                           



                          III   L’ABANDON DE L’ÉCHELLE HUMAINE





                                                                                                                                                                                                                        En  abordant ce sujet je peux m’attendre à une dégelée verbale à base de passéisme, poujadisme,pensée réactionnaire, mais depuis quarante ans mon cuir s’est endurci et, dans la mesure où la plupart des problèmes ne se sont pas atténués, je ne vois pas pourquoi j’aurais dû m’assouplir.

    Venons-en au fait en partant d’une idée simple : plus nous négligeons l’échelle humaine, plus nous favorisons un monde paranoïaque, schizophrène, déshumanisé, hyper-réglementé, aux mains de puissances nébuleuses [banques opaques, multinationales, fonds de pensions,…].
   La révolution industrielle a, certes, enclenché le mouvement, mais c’est la poussée de l’après-guerre qui a balayé le concept d’échelle humaine et on ne saurait dire jusqu’où peut aller le gigantisme, que ce soit dans l’extension des villes, la hauteur des bâtiments, les moyens de destruction, de démolition, de construction, de production et de transport.
    Très longtemps l’échelle humaine a été la norme de notre monde ; en la dépassant –d’une certaine façon en la niant- nous avons ouvert une boîte de Pandore. Car le monde gigantisé par l’homme aboutit, par un effet naturel des proportions, à considérer les humains minusculisés comme nous considérons les fourmis quand nous les écrasons du doigt ou du pied.
    Nous avons, globalement, enterré cette idée de proportionner nos réalisations à notre dimension ; par exemple, là où à une époque on avait besoin de deux hectares pour édifier un village on construit aujourd’hui un stade de football ; un projet d’aéroport engloutit deux mille hectares comme s’il s’agissait là d’une surface négligeable. Au moment où les terrains se raréfient, notre gourmandise est sans limites.                                                                                                                                                 Deux inventions, en particulier, ont rendu possible ce dépassement de l’échelle humaine :   l’ascenseur et la voiture. L’ascenseur a permis l’élévation vertigineuse des bâtiments  -au point que l’on va avoir des tours de 1000 mètres- ; en effet, sans ascenseur il est difficile de concevoir un édifice de plus de huit niveaux : pour comprendre cette contrainte, montez vingt étages avec un filet à provisions bien plein dans chaque main.
    L’entassement dans des quartiers d’immeubles étouffants ne semble pas gêner les asiatiques mais je doute que cela n’ait pas un effet sur leur psychisme ou leur comportement social. Je suis également à peu près convaincu que la vie dans un horizon bétonné est aussi délétère que la contemplation de la mer, d’une perspective forestière, du paysage au sommet d’une montagne apaisent, chez tout homme normal, les émotions, les sentiments et les pensées.
    Dans une ville ceux qui habitent un étage inférieur, ceux qui marchent, se retrouvent dans un univers carcéral : l’échappée de ciel se réduit, celle constituée par les espaces de nature s’éloigne. Ayant laissé filer le mal de la surdensification démesurée –à cause des urgences de l’après-guerre nous dit-on- nous l’avons ensuite compensée par une autre maladie : l’extension horizontale, l’étalement par vagues successives de lotissements où règne la maison individuelle –rêve légitime de chacun. Et après le désagrément de ne voir le ciel qu’en se tordant le cou, voilà celui de mourir d’ennui en traversant l’architecture clonée des pavillons qui engloutit prairies, maraîchers, haies bocagères, bois,… Qui a traversé Los Angeles en bus du nord au sud s’est fait une idée de la monstruosité que peut atteindre l’étalement urbain.
    Une nouvelle fois nous traitons les effets plutôt que les causes : pourquoi faut-il entasser les gens dans des tours, ou les disperser dans des villas à perte de vue ? Parce que nous sommes si nombreux, et toujours plus, que les besoins en logements sont inextinguibles. Alors, le béotien que je suis répond : et si nous envisagions d’être moins ? A ce moment tous les loups se lèvent d’un bond et hurlent à la mort un mot gri-gri : malthusianisme ! La plupart des cuistres qui vous jettent ce nom à la figure n’ont pas lu une ligne de l’Essai sur le principe de population et négligent que Malthus a vécu à une époque où la Terre ne comptait qu’un milliard d’habitants, qu’il était issu d’une famille aisée      (contrairement à moi), qu’il n’avait rien d’un amoureux de l’environnement. C’est pourquoi –une fois retenu  l’idée de dépopulation- je n’éprouve pas de sympathie pour Malthus et je me tamponne avec cette analogie.
    Nous avons fait disparaître de nombreuses espèces végétales et animales, nous combattons férocement toute espèce invasive (cafards, fourmis, sangliers,…) mais nous proliférons sans réaliser que notre nombre est devenu un problème. Et rien ne prouve que les pays à petite population sont les plus démunis ? Sinon, que dire de la Norvège, de Panama, du Canada ?

    La voiture nous a affranchis de l’empêchement par la distance. Chacun sait que les divisions administratives prenaient en compte, à l’origine, la capacité de se transporter d’une limite à une autre, à pied, à cheval, en voiture hippomobile. La voiture a fait exploser ces contraintes ; au XVème siècle, habitant au centre d’un bourg, il ne m’était guère concevable de posséder un potager à plus d’une demi-heure de marche de mon domicile ; aujourd’hui dans le même temps j’abattrai bien vingt kilomètres !
    De même un travailleur –artisan, ouvrier,…- quand il n’habitait pas sur place, se logeait à quelques pâtés de maisons de son échoppe ou son atelier ; de nos jours des cadres travaillant à Manhattan roulent cent kilomètres chaque jour pour regagner leur villa du Connecticut.
    L’automobile est un incroyable outil d’autonomie, de mobilité, de possibilités de services, mais la démesure de l’homme en a fait un fléau : pollution atmosphérique, dévoration des espaces, déchets plus ou moins recyclés.
    Là aussi le fatalisme que suscitent les problèmes d’environnement abat sa main de fer sur les populations et plus personne ne s’indigne que chaque matin les embouteillages paralysent les métropoles du monde, dans un insensé gaspillage de temps, de carburant, d’air pur et d’énergie humaine.
    Ce que certains appellent un « mal nécessaire » est en fait le résultat d’un abandon : celui de l’échelle humaine. A tel point que le problème, n’étant plus de notre dimension, nous le gérons par des mesures de surface (convaincus qu’il est une fatalité) qui sont comme un sparadrap sur une jambe en polyuréthane.
    Pour clore cet article je voudrais dire un mot sur l’hyper-automatisation ; je suis prêt pour ce faire, à accepter tous les qualificatifs qu’on voudra : crétin, obtus, courte vue, bon sens près de chez vous,… mais je ne peux passer sous silence un processus aussi criminel –il tue des emplois- que paradoxal –il jette de l’essence sur le feu-.
    Tout économiste dûment qualifié m’objectera que fabriquer un automate crée des emplois (un concepteur, un fabricant, d’éventuels opérateurs et réparateurs) mais je serais  curieux de voir un tableau comparatif des postes pérennes et des emplois perdus.
    Alors que les gens peu qualifiés vont grossir les rangs des chômeurs –et tout le monde n’a pas les moyens de devenir ingénieur en aéronautique-, les robots s’emparent des tâches qu’ils pourraient remplir. Je pense de plus en plus que la question du travail n’est pas seulement économique, sociale, pédagogique, que sais-je encore, elle est aussi philosophique. La machine qui seconde l’homme est un progrès, mais celle qui le remplace, et donc l’élimine ?
    Qu’aucun de nous ne se sente à l’abri, les projets de robots peuvent toucher n’importe quelle profession : construction, santé, enseignement, agriculture,…
    Dans le domaine artistique le robot-peintre doit être, d’ores et déjà, réalisable ; seule sa rentabilité retarde sa naissance. Quand le marché de l’art en aura assez des fantaisies des plasticiens cette machine sera construite. Couplée à un ordinateur nourri de toute la gamme des couleurs, des techniques, des sujets, des pensées d’artistes, elle produira le tableau désiré par le consommateur. Les futurs Monet, Dali, Soulages, pourront aller se rhabiller.
    Pour finir, l’hyper-automatisation a bouleversé l’échelle des valeurs, renvoyant au Moyen Age  les moyens les plus nobles du travail humain. Les quatre mots qui suivent sont-ils dans un ordre croissant ou décroissant ?
    L’instrument, l’outil, la machine-outil, le robot.

  NB : Désolé pour le décalage de la ligne 4, le robot ordinateur m'a trahi et refuse de m'obéir !

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