D'aucuns s'étant amèrement plaint de la disparition des Sept plaies du modèle contemporain je vais rétablir les sept chapitres de ce pamphlet.
I LE MÉPRIS DE L’ENVIRONNEMENT
Me croirez-vous si
je vous dis qu’en 1970 j’ai attrapé subitement une maladie dont je ne me suis jamais guéri ? C’est pourtant la vérité : à un âge où mes contemporains
s’intéressaient surtout aux flirts et aux bagnoles –ceci dit les filles
m’intéressaient aussi- je suis devenu écologiste ; pour être plus exact
(et bien que je connusse déjà à l’époque le sens des mots écologie et
écologiste) je suis devenu sensible aux problèmes de notre environnement, voire
hypersensible.
Cela vous paraît
banal ? Alors replacez-vous dans le contexte : les Français de
l’époque se fichaient comme d’une guigne de l’environnement, sauf comme cadre
de leurs week-ends ou de leurs vacances. Il n’y avait pas encore eu de choc
pétrolier ; la machine économique marchait à plein régime ; c’était
la grande époque de « l’aménagement
du territoire ».
Pourquoi un petit
con de dix-neuf ans, pas plus intelligent que la bonne moyenne, a-t-il été
envahi par ce sentiment d’une précarité de la nature ? Pourquoi a-t-il
persévéré dans ces idées nocives, alors que la plupart de ses condisciples le
traitaient de « passéiste, d’anti-progrès, de rabat-joie » et que ses
amis –communistes- de l’UNEF commençaient invariablement leurs phrases par
« l’environnement c’est bien, mais … » ; oui,
pourquoi ?
Il y avait bien eu
le Club de Rome, LE PRINTEMPS SILENCIEUX de Rachel Carson, mais tout cela suffit à se bâtir une opinion, une
conviction, pas une certitude émotionnelle aussi profonde qui, loin de vous
donner le sentiment d’appartenir à une élite, vous jette dans une souffrance,
parce que vous doutez, que vous rencontrez des indifférents et des hostiles, que vous constatez matériellement
les dégradations que nient ou minimisent la majorité des autres.
Je pense que vous
comprendrez mon scepticisme à l’encontre de la plupart des politiques dites de
l’environnement. Permettez-moi d’abord une brève comparaison… dans ma carrière
j’ai rencontré pas mal de religieux : quelques uns –admirables- portaient
leur religion à l’intérieur d’eux-mêmes, brûlés d’une conviction qui ne pouvait
laisser insensible ; beaucoup ne la portaient que dans leur insigne
–croix, lévite, crosse, turban,…- et quand je cherchais à creuser je ne
trouvais que la carapace commode d’une pensée fonctionnaire ou, pire, un
salmigondis d’idées vides de moelle, parfois même une forme de manipulation au
moyen de discours mielleux, de concerts de bonnes intentions. En matière
d’environnement c’est le même tabac : la plupart des décideurs mentent ou
se mentent parce qu’ils n’ont pas cette cause chevillée à l’âme.
Les plus
admirables sur ce chapitre sont les politiciens et les hommes d’affaires, même
si je n’oublie pas mes amis écologistes. Il m’a été donné de lire dans leurs
regards ; je me souviens en particulier de celui de M. Jacques Médecin
–homme d’un incroyable entregent- que j’ai retrouvé chez tant d’autres ;
pour lui un défenseur de l’environnement était soit un emmerdeur, soit un
jobastre, soit un pauvre couillon. Qu’il fût l’un ou l’autre l’écologiste de
service recevait le même traitement à base de pilules lénifiantes, de
potions ironiques et de sirops d’indignations.
Combien de fois
les ai-je entendus ces poncifs commodes ? Je pourrais les reprendre à la
manière de la tirade des nez dans CYRANO :
Condescendant… vous voulez revenir à la bougie, à la grotte,
à la préhistoire
Docte… c’est la rançon du progrès, c’est le sens de l’Histoire
Vertueux… c’est pour créer des emplois, de la richesse
Hypocrite… les petits oiseaux c’est bien mais une nouvelle
ZAC c’est bon pour le commerce local
Vindicatif… vous vous
opposez donc au progrès, à la croissance
Indigné… vous voulez nous tuer dans la compétition
internationale.
Et le vilain écolo
de repartir tout penaud, gros-jean comme devant, conscient d’être un arriéré,
un empêcheur d’aménager en rond, un destructeur d’emplois, et pourtant
intimement pénétré de la conviction qu’ils sont en train de bousiller son
monde.
Bien que me rendant enragé cela avait au moins le mérite de la netteté : il n’y avait rien
à attendre de ces barons d’un nouveau moyen-âge déguisé en modernisme. MAIS
survinrent, tombant sur l’humanité comme la vérole sur le bas-clergé, quelques
séismes économico-environnementaux [choc pétrolier, accidents nucléaires,
marées noires,…] qui donnèrent naissance à une nouvelle méthode de gestion des
écologistes ; le faux-culisme, l’enfumage –je n’ose dire l’entubage- systématique.
Je crois que le
pire de tout c’est le fameux IL Y A URGENCE ; ça fait quarante ans qu’il y a urgence, qu’on
nous ballade de sommet de la Terre en sommet de la dernière chance qui ne
servent à rien : à chaque fois le mammouth accouche d’un pet de souris.
J’y ai cru ;
d’une naïveté inimaginable, je pensais que la défense de l’environnement serait
temporaire, que lorsque les problèmes seraient réglés l’écologie reviendrait à
ses origines, une simple discipline scientifique. Non seulement la plupart des
problèmes n’ont pas été résolus mais ils ont été aggravés, et comme la
technologie a spectaculairement progressé notre pouvoir de nuisance est devenu
terrifiant. Terrifiant ! Vous allez penser que je suis un adorateur de la
catastrophe, une espèce de cassandre andropausée : erreur. Demandez autour
de moi, je suis un optimiste du quotidien… avec très peu d’espoir pour le
futur.
Je ne crois pas à
l’apocalypse, vision presque cinématographique de la fin de notre monde ;
mourir sur une musique de Wagner noyés par tsunamis et inondations du siècle ou
pulvérisés par une comète assassine, ça a de la gueule, ça flatterait presque
notre goût du spectacle morbide ; je crains plutôt un pourrissement,
l’avènement d’un monde paranoïaque, concentrationnaire, injuste et
esclavagiste. Ceux qui trustent pouvoir et richesse saccagent et continueront à
saccager le monde, à moins que… L’extraction de toute ressource ira jusqu’à son
extrême. Et ne me dites pas que vous ne l’avez pas vue la face de rat de la
cupidité, celle qui est prête à tout vendre, père et mère compris, celle qui
fait fi de l’existence des autres. Et je dis bien cupidité, pas enrichissement.
Aujourd’hui les
gouvernements sont impuissants, ils n’arrivent pas à mettre au pas la finance
véreuse, imaginez comment ils vont arrêter le pillage mondialisé ; à
défaut d’un homme d’une trempe exceptionnelle, la messe est dite. Nous
sommes aussi responsables : moi et quelques autres de notre impuissance,
vous d’attendre que ça passe, que ça se tasse. Si la situation a pu autant se
dégrader, si les politiques ont persévéré dans leurs aberrations, si les
« businessmen » ont pu mettre la Terre à sac, c’est parce que les
peuples ont tout accepté.
Le peuple c’est
cette espèce de gros pudding –ou poudingue- composé de trois matériaux
inégaux :
1 A ma gauche, la famille écolo, c'est-à-dire tous ceux que
l’on assimile à cette mouvance
-les Verts ;
à part quelques moments heureux (Brice Lalonde, Huguette Bouchardeau, par
exemple) en dessous de tout, incapables jusqu’à présent de transformer un
capital de sympathie en véritable force de frappe, ils professent une écologie
teintée de parisianisme et ont l’art de s’exciter sur des problèmes secondaires
(au vu de urgences planétaires) tels que le mariage pour tous, la
régularisation des sans-papiers,…
-défenseurs
d’ordre divers, qui permettent aux « anti » de caricaturer tout ce
qui est écolo et de pratiquer sans efforts d’analyse l’amalgame à grande
échelle : mouvements anti-chasse, anti-corrida, anti-viande, SPA,…
2 Au centre, moi et quelques couillons (dont d’éminents
intellectuels), insuffisants –on ne s’investit jamais assez-, débordés,
dérisoires et parfois excessifs.
3 A ma droite, tous ceux qui regardent les écolos avec un
sourire amusé, compatissant, cynique ou irrité, en fait
-une majorité
d’indifférents ; les uns recréent un monde parfait dans le jardin de leur
villa ; les autres consomment l’environnement par l’image, attendant les
vacances pour un bain de nature dans un endroit plus ou moins préservé ;
certains, enfin, s’en foutent vraiment.
-une partie pas si
infime d’hostiles ; intellectuels exaspérés par le catastrophisme –et je
les comprends-, décideurs obnubilés par les dogmes de la croissance et du
développement, hommes d’affaires pour lesquels l’environnement n’est qu’une
réserve de richesses potentielles.
Si nous avions
défendu avec acharnement notre capital environnemental depuis quarante ans nous
aurions peut-être perdu moins d’emplois vu que nous aurions conservé une
logique de proximité et de production liées à des ressources pérennes non
délocalisables.
A ce propos, je peux vous parler d’écologie par l’unique biais
de l’eau : pour être né au bord de la Méditerranée, à trois rues du port
de Nice, je suis marqué à vie par l’amour de l’eau. Mers, lacs, torrents,
rivières, tout est bon pour me baigner, pêcher, ramer, surfer, naviguer. Une
partie non négligeable de mon existence s’est passée sur, dans et au bord de
l’eau, alors qu’on ne vienne pas me dire de conneries : l’état des eaux
est alarmant depuis belle lurette mais, dans une sorte de fatalisme impuissant
face au « progrès », nous préférons payer très cher pour remédier aux
effets de la pollution plutôt que de nous attaquer à ses origines.
Or il y a un
principe : toute pollution, toute atteinte à l’environnement engendre des
frais ou un manque à gagner qui tôt ou tard ne sera pas -plus- équilibré par
l’activité qui les a engendrées.
Le problème est
que celui qui provoque l’atteinte est rarement celui qui perd de l’argent ou
doit assumer les réparations.
Entrons dans la
chair du sujet : la France ça n’est pas le désert de Gobi ; nous
possédons un réseau hydrographique exceptionnel par sa quantité, sa variété,
son étalement géographique. Qu’en faisons-nous ? Pour le mieux, de
l’électricité ; insuffisamment, des voies de transport ; pour le
pire, des déserts piscicoles. Deux exemples suffiront.
Promenez-vous à
Lyon sur les bords de Saône et du Rhône, lisez les panneaux interdisant la
consommation des poissons puis regardez ces masses d’eau douce interdites à la
pêche professionnelle tandis que nous faisons venir de lointains pays des
poissons de productions douteuses (perches du Nil, pangas, saumon d’élevage) et
que nous puisons dans les stocks fragiles des poissons de fond (grenadiers,
empereurs, lingues). Comment appelez-vous un si beau résultat : du gâchis,
de l’incompétence, du j’m'enfoutisme ?
Je garde
précieusement dans un tiroir une reproduction de carte postale ancienne de deux
auvergnats vendant des saumons énormes sur une charrette à bras, dans une rue
de Brioude au début du vingtième siècle. Ça ne remonte pas à la
préhistoire ; essayez de remplir une charrette aujourd’hui… Comment vous
appelez un si beau résultat : un progrès ou une dégringolade ?
La deuxième grande
atteinte à la Nature c’est l’extension, absolument pas maîtrisée, des
villes ; on souffre à imaginer ce que les cinquante prochaines années
engendreront au vu des deux derniers lustres. Pour une fois, et pour
m’économiser une démonstration, je vais céder aux sirènes des chiffres.
-Los Angeles, dont
les 2/3 de la surface sont dévolus à l’automobile, s’étend sur deux-cents
kilomètres dans sa plus grande longueur ;
-le grand Tokyo
(2156 km2) atteint la surface des Yvelines et la population de la Pologne, de
Tokyo à Fukuoka la conurbation couvre 1000 kilomètres ;
-le Boswash,
mégalopole englobant Boston, Baltimore, Washington, New York, Philadelphie,
ponctuée d’espaces naturels qui se réduisent comme peau de chagrin, occupe 800
kilomètres du nord au sud ;
-au Bangladesh,
156 millions de personnes vivent sur un territoire équivalent à un gros quart
de la France (144 000 km2) ; au Canada, ils sont cinq fois moins sur
33 000 000 de km2 (n’en vivant pas plus mal) : tout cela est-il
bien raisonnable ?
Si je garde
quelques raisons d’espérer c’est que je vois l’empilement implacable des
preuves en marche vers l’insoutenable ; j’attends des ralliements de tous
les cocus auxquels on a promis emploi et bien-être en échange d’un sacrifice
environnemental ; je vois des
jeunes qui vivent la défense de l’environnement avec leurs tripes –notamment
ceux qui se battent contre le projet de Notre-Dame des Landes, monstre ressurgi
de la préhistoire économique- et qui, contrairement à ce que pense les esprits chagrins,
ne se laissent pas lyophiliser par le monde technologique et publicitaire.
Je suis moins
optimiste quant à la majorité qui ne bougera que le jour de la grande
trouille, quand –et Dieu fasse que je me trompe- ils se réveilleront
complètement prisonniers d’un monde artificialisé et financiarisé où ils ne
seront que des androïdes interchangeables, ou même le révolté aura du mal à
trouver des lieux où tenter l’autosuffisance.
Et pourtant, il y
a de quoi avoir envie de combattre : la défense de l’environnement est
éminemment sociale ; n’avez-vous pas remarqué que ceux qui projettent,
financent et réalisent la rocade qui fera de votre logement un petit enfer sont
les premiers à se construire une maison dans un coin préservé de la côte méditerranéenne
ou à investir dans quelque résidence insulaire des océans indien et pacifique ?
Enfin, n’est-il
pas injuste que les amoureux d’espaces naturels –surtout ceux qui n’ont pas
besoin d’un moteur pour entrer en communion avec elle- voient sans cesse leurs
territoires se restreindre, alors que ceux des urbanophiles ne cessent de
s’étendre ?
Et ceux qui
seraient tentés de voir en moi un de ces citadins démoellés qui se rêvent en
néo-ruraux je les invite à venir tailler la vigne avec moi en plein mistral
hivernal ou à participer à une journée de bûcheronnage. Pour moi, la campagne
n’existe pas sans les paysans ; quant aux urbains qui vont s’installer à la
campagne et qui se plaignent –parfois jusqu’au procès- de la bouse de vache
dans les rues, du bruit des tracteurs et du chant du coq, vous pouvez imaginer
ce que j’en pense.
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