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jeudi 14 janvier 2016

IN MEMORIAM RENÉ DUMONT

    Sans raison particulière je viens de penser à René Dumont buvant un verre d'eau à la fin d'une intervention télévisée. Pour rendre hommage à celui qui fut le premier candidat écologiste aux élections présidentielles (en 1974) je republie ce texte extrait de La République des Jobastrons (écrit il y a quinze ans, retouché en 2015).


   

                                              LE MÉPRIS DE L’ENVIRONNEMENT


    Me croirez-vous si je vous dis qu’en 1970 j’ai attrapé subitement une maladie dont je n’ai jamais  guéri ? C’est pourtant la vérité : à un âge où mes contemporains s’intéressaient surtout aux flirts et aux bagnoles –ceci dit les filles m’intéressaient aussi- je suis devenu écologiste ; pour être plus exact (et bien que je connusse déjà à l’époque le sens des mots écologie et écologiste) je suis devenu sensible aux problèmes de notre environnement, voire hypersensible.
    Cela vous paraît banal ? Alors replacez-vous dans le contexte : les Français de l’époque se fichaient comme d’une guigne de l’environnement, sauf comme cadre de leurs week-ends ou de leurs vacances. Il n’y avait pas encore eu de choc pétrolier ; la machine économique marchait à plein régime ; c’était la  grande époque de « l’aménagement du territoire ».
    Pourquoi un petit con de dix-neuf ans, pas plus intelligent que la bonne moyenne, a-t-il été envahi par ce sentiment d’une précarité de la nature ? Pourquoi a-t-il persévéré dans ces idées nocives, alors que la plupart de ses condisciples le traitaient de « passéiste, d’anti-progrès, de rabat-joie » et que ses amis –communistes- de l’UNEF commençaient invariablement leurs phrases par « l’environnement c’est bien, mais … » ; oui, pourquoi ?
    Il y avait bien eu le Club de Rome, LE PRINTEMPS SILENCIEUX de Rachel Carson, mais tout cela suffit à se bâtir une opinion, une conviction, pas une certitude émotionnelle aussi profonde qui, loin de vous donner le sentiment d’appartenir à une élite, vous jette dans une souffrance, parce que vous doutez, que vous rencontrez des indifférents et des  hostiles, que vous constatez matériellement les dégradations que nient ou minimisent la majorité des autres.
    Je pense que vous comprendrez mon scepticisme à l’encontre de la plupart des politiques dites de l’environnement. Permettez-moi d’abord une brève comparaison… dans ma carrière j’ai rencontré pas mal de religieux : quelques uns –admirables- portaient leur religion à l’intérieur d’eux-mêmes, brûlés d’une conviction qui ne pouvait laisser insensible ; beaucoup ne la portaient que dans leur insigne –croix, lévite, crosse, turban,…- et quand je cherchais à creuser je ne trouvais que la carapace commode d’une pensée fonctionnaire ou, pire, un salmigondis d’idées vides de moelle, parfois même une forme de manipulation au moyen de discours mielleux, de concerts de bonnes intentions. En matière d’environnement c’est le même tabac : la plupart des décideurs mentent ou se mentent parce qu’ils n’ont pas cette cause chevillée à l’âme.
    Les plus admirables sur ce chapitre sont les politiciens et les hommes d’affaires, même si je n’oublie pas mes amis écologistes. Il m’a été donné de lire dans leurs regards ; je me souviens en particulier de celui de M. Jacques Médecin –homme d’un incroyable entregent- que j’ai retrouvé chez tant d’autres ; pour lui un défenseur de l’environnement était soit un emmerdeur, soit un jobastre, soit un pauvre couillon. Qu’il fût l’un ou l’autre l’écologiste de service recevait le même traitement à base de pilules lénifiantes, de potions ironiques et de sirops d’indignations.
    Combien de fois les ai-je entendus ces poncifs commodes ? Je pourrais les reprendre à la manière de la tirade des nez dans CYRANO :
Condescendant… vous voulez revenir à la bougie, à la grotte, à la préhistoire
Docte… c’est la rançon du progrès, c’est le sens de l’Histoire
Vertueux… c’est pour créer des emplois, de la richesse
Hypocrite… les petits oiseaux c’est bien mais une nouvelle ZAC c’est bon pour le commerce local
Vindicatif…  vous vous opposez donc au progrès, à la croissance
Indigné… vous voulez nous tuer dans la compétition internationale.
    Et le vilain écolo de repartir tout penaud, gros-jean comme devant, conscient d’être un arriéré, un empêcheur d’aménager en rond, un destructeur d’emplois, et pourtant intimement pénétré de la conviction qu’ils sont en train de bousiller son monde.
    Bien que me rendant fou cela avait au moins le mérite de la netteté : il n’y avait rien à attendre de ces barons d’un nouveau moyen-âge déguisé en modernisme. MAIS survinrent, tombant sur l’humanité comme la vérole sur le bas-clergé, quelques séismes économico-environnementaux [choc pétrolier, accidents nucléaires, marées noires,…] qui donnèrent naissance à une nouvelle méthode de gestion des écologistes ; le faux-culisme, l’enfumage –je n’ose dire l’entubage- systématique.
    Je crois que le pire de tout c’est le fameux IL Y A URGENCE ; voilà quarante ans qu’il y a urgence, qu’on nous ballade de sommet de la Terre en sommet de la dernière chance qui ne servent à rien : à chaque fois le mammouth accouche d’un pet de souris.
    J’y ai cru ; d’une naïveté inimaginable, je pensais que la défense de l’environnement serait temporaire, que lorsque les problèmes seraient réglés l’écologie reviendrait à ses origines, une simple discipline scientifique. Non seulement la plupart des problèmes n’ont pas été résolus mais ils ont été aggravés, et comme la technologie a spectaculairement progressé notre pouvoir de nuisance est devenu terrifiant. Terrifiant ! Vous allez penser que je suis un adorateur de la catastrophe, une espèce de cassandre andropausée : erreur. Demandez autour de moi, je suis un optimiste au quotidien… mais avec très peu d’espoir pour le futur.
    Je ne crois pas à l’apocalypse, vision presque cinématographique de la fin de notre monde ; mourir sur une musique de Wagner noyés par tsunamis et inondations du siècle ou pulvérisés par une comète assassine, ça a de la gueule, ça flatterait presque notre goût du spectacle morbide ; je crains plutôt un pourrissement, l’avènement d’un monde paranoïaque, concentrationnaire, injuste et esclavagiste. Ceux qui trustent pouvoir et richesse saccagent et continueront à saccager le monde, à moins que… L’extraction de toute ressource ira jusqu’à son extrême. Et ne me dites pas que vous ne l’avez pas vue la face de rat de la cupidité, celle qui est prête à tout vendre, père et mère compris, celle qui fait fi de l’existence des autres. Et je dis bien cupidité, pas enrichissement.
    Aujourd’hui les gouvernements sont impuissants, ils n’arrivent pas à mettre au pas la finance véreuse, imaginez comment ils vont arrêter le pillage mondialisé ; à défaut d’un homme d’une trempe exceptionnelle, la messe est dite. Nous sommes aussi responsables : moi et quelques autres de notre impuissance, d'aucuns d’attendre que ça passe, que ça se tasse. Si la situation a pu autant se dégrader, si les politiques ont persévéré dans leurs aberrations, si les « businessmen » ont pu mettre la Terre à sac, c’est parce que les peuples ont tout accepté.
    Le peuple c’est cette espèce de gros pudding –ou poudingue- composé de trois matériaux inégaux :
1 A ma gauche, la famille écolo, c'est-à-dire tous ceux que l’on assimile à cette mouvance
    -les Verts ; à part quelques moments heureux (Brice Lalonde, Huguette Bouchardeau, par exemple) en dessous de tout, incapables jusqu’à présent de transformer un capital de sympathie en véritable force de frappe, ils professent une écologie teintée de parisianisme et ont l’art de s’exciter sur des problèmes secondaires (au vu de urgences planétaires) tels que le mariage pour tous, la régularisation des sans-papiers,…
    -défenseurs d’ordre divers, qui permettent aux « anti » de caricaturer tout ce qui est écolo et de pratiquer sans efforts d’analyse l’amalgame à grande échelle : mouvements anti-chasse, anti-corrida, anti-viande, SPA,…
2 Au centre, moi et quelques couillons (dont d’éminents intellectuels), insuffisants –on ne s’investit jamais assez-, débordés, dérisoires et parfois excessifs.
3 A ma droite, tous ceux qui regardent les écolos avec un sourire amusé, compatissant, cynique ou irrité, en fait
    -une majorité d’indifférents ; les uns recréent un monde parfait dans le jardin de leur villa ; les autres consomment l’environnement par l’image, attendant les vacances pour un bain de nature dans un endroit plus ou moins préservé ; certains, enfin, s’en foutent vraiment.
    -une partie pas si infime d’hostiles ; intellectuels exaspérés par le catastrophisme –et je les comprends-, décideurs obnubilés par les dogmes de la croissance et du développement, hommes d’affaires pour lesquels l’environnement n’est qu’une réserve de richesses potentielles.
    Si nous avions défendu avec acharnement notre capital environnemental depuis quarante ans nous aurions peut-être perdu moins d’emplois vu que nous aurions conservé une logique de proximité et de production liées à des ressources pérennes non délocalisables.
   A ce propos, je peux vous parler d’écologie par l’unique biais de l’eau : pour être né au bord de la Méditerranée, à trois rues du port de Nice, je suis marqué à vie par l’amour de l’eau. Mers, lacs, torrents, rivières, tout est bon pour me baigner, pêcher, ramer, surfer, naviguer. Une partie non négligeable de mon existence s’est passée sur, dans et au bord de l’eau, alors qu’on ne vienne pas me dire de conneries : l’état des eaux est alarmant depuis belle lurette mais, dans une sorte de fatalisme impuissant face au « progrès », nous préférons payer très cher pour remédier aux effets de la pollution plutôt que de nous attaquer à ses origines.
    Or il y a un principe : toute pollution, toute atteinte à l’environnement engendre des frais ou un manque à gagner qui tôt ou tard ne sera pas –plus- équilibré par l’activité qui les a engendrées.
    Le problème est que celui qui provoque l’atteinte est rarement celui qui perd de l’argent ou doit assumer les réparations.
    Entrons dans la chair du sujet : la France ce n’est pas le désert de Gobi ; nous possédons un réseau hydrographique exceptionnel par sa quantité, sa variété, son étalement géographique. Qu’en faisons-nous ? Pour le mieux, de l’électricité ; insuffisamment, des voies de transport ; pour le pire, des déserts piscicoles. Deux exemples suffiront.
    Promenez-vous à Lyon sur les bords de Saône et du Rhône, lisez les panneaux interdisant la consommation des poissons puis regardez ces masses d’eau douce interdites à la pêche professionnelle tandis que nous faisons venir de lointains pays des poissons de productions douteuses (perches du Nil, pangas, saumon d’élevage) et que nous puisons dans les stocks fragiles des poissons de fond (grenadiers, empereurs, lingues). Comment appelez-vous un si beau résultat : du gâchis, de l’incompétence, du j’m’en foutisme ?
    Je garde précieusement dans un tiroir une reproduction de carte postale ancienne de deux auvergnats vendant des saumons énormes sur une charrette à bras, dans une rue de Brioude au début du vingtième siècle. Cela ne remonte pas à la préhistoire ; essayez de remplir une charrette aujourd’hui… Comment vous appelez un si beau résultat : un progrès ou une dégringolade ?
    La deuxième grande atteinte à la Nature c’est l’extension, absolument pas maîtrisée, des villes ; on souffre à imaginer ce que les cinquante prochaines années engendreront au vu des deux derniers lustres. Pour une fois, et pour m’économiser une démonstration, je vais céder aux sirènes des chiffres.
    -Los Angeles, dont les 2/3 de la surface sont dévolus à l’automobile, s’étend sur deux-cents kilomètres dans sa plus grande longueur ;
    -le grand Tokyo (2156 km2) atteint la surface des Yvelines et la population de la Pologne, de Tokyo à Fukuoka la conurbation couvre 1000 kms ;
    -le Boswash, mégalopole englobant Boston, Baltimore, Washington, New York, Philadelphie, ponctuée d’espaces naturels qui se réduisent comme peau de chagrin, occupe 800 kms du nord au sud ;
    -au Bangladesh, 156 millions de personnes vivent sur un territoire équivalent à un gros quart de la France (144 000 km2) ; au Canada, ils sont cinq fois moins sur 33 000 000 de km2 (n’en vivant pas plus mal) : tout cela est-il bien raisonnable ?
    Si je garde quelques raisons d’espérer c’est que je vois l’empilement implacable des preuves en marche vers l’insoutenable ; j’attends des ralliements de tous les cocus auxquels on a promis emploi et bien-être en échange d’un sacrifice environnemental ;  je vois des jeunes qui vivent la défense de l’environnement avec leurs tripes –notamment ceux qui se battent contre le projet de Notre-Dame des Landes, monstre ressurgi de la préhistoire économique- et qui, contrairement à ce que pense les esprits chagrins, ne se laissent pas lyophiliser par le monde technologique et publicitaire.
    Je suis moins optimiste quant à la majorité qui ne bougera que le jour de la grande trouille, quand –et Dieu fasse que je me trompe- ils se réveilleront complètement prisonniers d’un monde artificialisé et financiarisé où ils ne seront que des androïdes interchangeables, ou même le révolté aura du mal à trouver des lieux où tenter l’autosuffisance.
    Et pourtant, il y a de quoi avoir envie de combattre : la défense de l’environnement est éminemment sociale ; n’avez-vous pas remarqué que ceux qui projettent, financent et réalisent la rocade qui fera de votre logement un petit enfer sont les premiers à se construire une maison dans un coin préservé de la côte méditerranéenne ou à investir dans quelque résidence insulaire des océans indien et  pacifique ?
    Enfin, n’est-il pas injuste que les amoureux d’espaces naturels –surtout ceux qui n’ont pas besoin d’un moteur pour entrer en communion avec elle- voient sans cesse leurs territoires se restreindre, alors que ceux des urbanophiles ne cessent de s’étendre ?
    Et ceux qui seraient tentés de voir en moi un de ces citadins démoellés qui se rêvent en néo-ruraux je les invite à venir tailler la vigne avec moi en plein mistral hivernal ou à participer à une journée de bûcheronnage. Pour moi, la campagne n’existe pas sans le paysans ; quant aux urbains qui vont s’installer à la campagne et qui se plaignent –parfois jusqu’au procès- de la bouse de vache dans les rues, du bruit des tracteurs et du chant du coq, vous pouvez imaginer ce que j’en pense.

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