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mercredi 29 avril 2015

LA CRÉTINISATION PROGRAMMÉE



                                                       VII   LA CRÉTINISATION PROGRAMMÉE



               Le procédé d’abrutissement des masses n’est pas nouveau (ah, le fameux « du pain et des jeux » des Romains !), la nouveauté ce sont les capacités de diffusion dont disposent les manipulateurs.
               Pour cela il a fallu parvenir à une concentration des pouvoirs, facilitée et amplifiée par les mécanismes néo-libéraux ; ainsi une entreprise de taille internationale –et son dirigeant-, partant par exemple du domaine des travaux publics, peut investir des médias dont les journalistes économiques pourront être choisis en fonction de leur orthodoxie par rapport au tout-béton, au tout-autoroute,… Bien évidemment, il s’agit là d’une pure spéculation intellectuelle.
               On ne peut pas parler d’un complot mondial, ni même d’un machiavélisme de ploutocrates ; il s’agit, à des fins purement mercantiles, d’une manipulation très intelligente, puisqu’elle nous fait croire à une grande liberté individuelle, alors que face à un tel pouvoir une libération ne peut être que collective (seuls, nous sommes impuissants). Je le répète, nous ne sommes pas sous la sujétion d’un potentat tyrannique ou d’un milliardaire fou et mégalomane, mais simplement sous l’emprise de quasi autocrates qui, dans un intérêt marchand, tissent un réseau implacable qui nous paralyse comme dans une toile d’araignée.
               Des hommes de ce type ne constituent pas une nouveauté mais l’ère industrielle leur a fourni un terreau d’exception, encore enrichi par le libéralisme, puis le néo-libéralisme. Ils pilotent la partie intentionnelle de la crétinisation ; le but : vendre plus pour produire plus pour gagner plus.
               L’appâtage est permanent [teasing en anglais, broumégeade en provençal] : écrans, boîtes aux lettres, ondes radios, sont saturés de promos exceptionnelles, de soldes incroyables et d’anniversaires à prix cassés. Même les plus résistants finissent par craquer et si l’on n’y prend pas garde on finit obnubilé par la quête sans relâche des bonnes affaires. Un esprit mobilisé pour acheter la dernière nouveauté électronique présente peu de risques de s’exciter pour la lutte des classes.
               L’important est la « futilisation » : une vie bien remplie c’est une rollex, une voiture avec sièges en cuir et tableau de bord en ronce de noyer, une maison piscinisée, des vêtements de marque, une gueule et des seins plastifiés. Peu importe si l’on mange de la merde farcie d’hormones, de pesticides, de colorants, de conservateurs et d’exhausteurs de goût ; si l’eau du robinet est imbuvable ; si le bois de mes volets gondole au bout de deux ans ; si des médicaments nous empoisonnent aussi sûrement que le cyanure.
               Le talent des mercantis c’est d’installer le futile au premier plan ; pour les besoins fondamentaux, faites confiance, bonnes gens, aux multinationales qui vous fourniront les services standardisés idoines, vous permettant de consacrer du temps à des activités importantes : shopping, télé –que de délices en perspective-, jeux divers mais rémunérateurs –surtout pour eux-, ballade en quad,…
               Il y a aussi l’illusion : là encore je m’incline devant la force et la réussite des manipulateurs, je devrais dire des magiciens. Les pieds dans la gadoue, d’aucuns contemplent le miroir aux alouettes et s’y voient millionnaires dans trois cents mètres carrés à Malibu sur les genoux de Charlize Theron. N’est-ce pas de la prestidigitation que d’arriver à persuader le (la) quidam qu’un objet, un loisir, une somme, vont combler son vide spirituel et lui apporter le bonheur ?
               Reste la partie involontaire, accidentelle, non désirée de la crétinisation, en somme un dommage collatéral de nos initiatives pourtant vertueuses : en pensant bien faire –et je ne m’exclus pas du lot- certains produisent un état de vide mental qui aspire, dans ce que j’appelle le trou noir, les repères, le sens de limites et des nuances. Il y a deux domaines où j’ai quelques compétences et qui présentent les symptômes d’un processus de crétinisation rampant : l’enseignement et le livre.
               En mettant l’élève au centre du système éducatif (comme s'il avait été un jour hors jeu) les pédagogues, avec les meilleures intentions du monde, ont perdu de vue des évidences, aboutissant à des désordres que l’on soigne à coups de réformes aussi efficaces que l’œuf dur et le gressin pour soigner le ver solitaire.*
               Les enfants du 21ème siècle ne sont ni moins intelligents ni plus méchants que leurs prédécesseurs, mais il manque à nombre d’entre eux une éducation à l’effort, à l’estime d’autrui, à l’appréhension du délai et de la contrainte.
               Ce qui existait à l’état de cas isolés s’est banalisé ; combien d’enseignants travaillent dans un brouhaha généralisé et permanent au milieu d’élèves qui les considèrent comme des « bouffons » ou des gagne–petit ?
               Entériner la baisse du niveau des diplômes –les instituteurs avec un bac n’étaient pas moins bons que ceux bardés d’un master- installer des caméras, minimiser l’état de violence dans les établissements, alléger les programmes de leurs matières épistémologiques (merde, celui-là je n’ai pas pu l’éviter !), accepter que les élèves ne montrent plus de signes de courtoisie ou refusent tout apprentissage par cœur, tout cela témoigne d’un processus de crétinisation, et les enfants n’en sont pas responsables.
               En revanche, l’Ecole livrera à la société un être egocentré, préoccupé de la satisfaction de ses besoins, peu soucieux des usages qui lubrifient la  vie en société mais disposé au formatage par la matrice publicitaire.
               J’en admire d’autant plus tous les jeunes que je croise et que je trouve ouverts, équilibrés et généreux.

               Le second domaine, qui me passionne autant qu’il me préoccupe, c’est celui du livre ; dès mes études en fac je me suis intéressé à l’activité de l’édition, à tout ce qui touchait au domaine du livre.
               A mes yeux toute littérature est potentiellement consommable et je ne me suis jamais embarrassé de préjugés ; selon mon humeur tout fait ventre : Barbara Cartland, Frédéric Dard, Isaac Asimov, Pierre Bourdieu, Patricia Cornwell, Jean Malaurie, Michel Foucault, K.-J. Jung. Il n’y a pas de désastre à lire Guillaume Musso, Cinquante nuances de Grey ou même les mémoires d’un sportif à la mode, mais il y aura crétinisation du moment où ne sera proposé au lecteur que les livres dûment publicisés ; comme l’estomac à besoin d’aliments variés, l’esprit doit se nourrir d’ouvrages divers. Or je perçois un danger d’assèchement dans la vente en ligne –j’ai dit amazone ; ah, non, je ne crois pas !- à moins qu’elle ne soit le fait de libraires vendant aussi en magasins. Car si le commerce internet devait tuer les libraires et des éditeurs, il tuerait en même temps des formes de littérature.
               Le libraire c’est l’amateur –au sens étymologique-qui valorise le produit culturel autant qu’il laisse parler sa passion ; l’éditeur, avec tous ses défauts et ses ratés, c’est celui qui couve et fortifie des écrivains, qui est à même de cultiver-à côté de nécessaires best-sellers- les différences, et de combattre l’anschluss du livre formaté dont l’exclusivité serait le triomphe d’une forme de crétinisation.

*Blague que je réserve à mes plus fidèles lecteurs.

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