VI LA CONFUSION
Il m’est
arrivé de marcher dans quarante centimètres de boue bien collante et d’y
laisser une botte : pour le sujet que j’aborde c’est à peu près la même
chose. Me voilà donc en terrain vaseux, mais qui ne tente rien…
Le monde
fourmille de nuances, de zones d’ombre, d’ambiguïtés et d’à peu près, ce n’est
pas pour autant que nous devons nous passer d’une échelle des valeurs
déterminant les limites de l’acceptable et de l’inacceptable. Si l’on ignore
cette échelle ou qu’on la transgresse, s’installe une forme de confusion dans
laquelle les malintentionnés trouvent un biotope commode et les gens bien
vivent de plus en plus mal. Un exemple ? Certains agriculteurs qui
produisent honnêtement la nourriture, indispensable à notre corps, vivent dans
la frugalité –voire un dénuement qu’ils affrontent avec dignité- financière,
tandis que des traders, que je soupçonne de parasitisme, vivent ou ont vécu
dans une opulence outrancière. Cherchez l’erreur.
Les
médias, avides de nouveautés et de sensationnel, contribuent à la confusion
générale en montant en épingle l’anecdotique et le superficiel, faisant une
icône d’un monsieur musclé qui tape habilement dans un ballon, un génie d’un
artiste opportuniste non dénué de talent,
un Camus d’un écrivaillon –tel que moi- qui n’a encore produit aucune
œuvre majeure, un penseur d’un pseudo-intellectuel vide comme une outre, creux
comme une cruche, mais plein de lui-même.
La
confusion des sentiments est parfois le
résultat naturel de situations extrêmes, mais celle des idées et des valeurs
est un poison insidieux qui nous porte doucement vers le blasement, le tout se
vaut, le ça dépend, l’inaction.
Les
médias gonflent et dégonflent au fil de leurs envies et de leurs besoins les
personnalités de référence et on finit par perdre toute stabilité d’esprit. En
quelques jours, le modèle d’hier peut devenir une baudruche ratatinée : on
peut imaginer l’effondrement de celui qui a pu se croire un référent et
l’égarement de ceux qui l’ont vénéré (la plupart s’en sortent en rejetant leur
adoration sur le veau d’or suivant généré par la machine médiatique).
Il y a
bien des domaines où « l’entre deux » est sans conséquences mais
quand les effets de la confusion atteignent ceux dont dépend notre survie on
est en droit de se révolter : ainsi, on me fera difficilement admirer
les « faiseurs d’argent » chez lesquels louvoient sans vergogne
de véritables faussaires alors que toute mon estime va à ceux qui me permettent
de ne pas mourir de faim ou de froid, de disposer d’un abri confortable, de
maintenir ma santé, de goûter les joies du sublime* sans lesquelles l’homme
n’est qu’un animal parmi les autres.
La
tendance à l’excès dans le langage participe à (de) cette confusion et je m’inquiète
toujours quand j’entends parler d’amour fusionnel, d’objet cultissime et autres
film ou chanson du siècle. C’est pourquoi j’éprouve le besoin, pour conclure
cet article, de me laisser aller à quelques jugements de valeurs bien appuyés,
sur lesquels vous exercerez votre liberté de blâmer ou d’approuver.
Zlatan
Ibrahimovic n’est qu’un très bon manieur de ballon et si, dans une publicité,
il vante les mérites de la crème Tartempion, je m’empresserai de ne pas
l’acheter. Il est peut-être, au demeurant, un monsieur très sympathique.
Toutes
ces personnes dont films et romans sont friands : caïds de la pègre et de
la mafia, souteneurs, trafiquants de drogues, tueurs à gages, serial killers,
sont autant d’immondes saloperies et rien ne justifie de les exposer avec
complaisance même si des « gens honnêtes » ne se comportent pas mieux
[le général Nivelle en 1917, les fabricants de mines anti-personnel, les
employeurs d’enfants,…].
Paris
Hilton, richissime bécasse élevée au rang de personnalité, ne saurait me servir
de mentor, même si, pour une héritière aussi fortunée, elle présente un
physique très acceptable. Horripilante, mais acceptable.
Un
politicien est un homme comme les autres –hormis sa capacité à se déplacer,
serrer des mains, embrasser beaucoup et dormir peu- et ce n’est pas parce qu’il
sort d’une grande école que je me sens particulièrement rassuré : j’ai
rencontré assez de cerveau pleins à craquer pour savoir que diplômes et bon
sens ne font pas systématiquement bon ménage.
Les
peuples dits primitifs, maintenant premiers, donc fondateurs, ont tellement à
nous apprendre sur nous-mêmes et notre futur –moins dans leur modernité souvent
dégénérée que dans les témoignages de leur vie
« pré-civilisationnelle »- que je me demande toujours comment on peut
se dispenser de lire tout ouvrage d’ethnographie, en particulier de la
collection Terre humaine.
Chefs de
petites entreprises qui brûlez toute votre énergie à faire vivre votre boîte,
parfois pour un salaire à peine triple de celui de vos techniciens ;
paysans attachés à votre terre, travaillant beaucoup pour gagner peu, essayant
de maintenir des produits de terroir, considérés par nombre de citadins comme
l’étaient les « poilus » par les gens de l’arrière ; tant
d’autres qui fatiguent leur corps et
leur âme dans un labeur sous-payé et déconsidéré : je vous respecte. Rappelez-vous
que lorsqu’ils sont en nombre même les jobastrons font peur.
*Les sources du sublime : les Arts, les beautés de la Nature, les sentiments nobles. Pour moi, le sublime est ce qui galvanise le meilleur en nous ; j'emploie ce mot plutôt que le sacré (trop connoté religion) ou le merveilleux (plus adapté à la littérature).
*Les sources du sublime : les Arts, les beautés de la Nature, les sentiments nobles. Pour moi, le sublime est ce qui galvanise le meilleur en nous ; j'emploie ce mot plutôt que le sacré (trop connoté religion) ou le merveilleux (plus adapté à la littérature).
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