EN GUISE DE
NON-CONCLUSION
Ma
vision peut paraître pessimiste, mais quand j’entends les journalistes,
notamment les spécialistes de l’économie, je m’aperçois que je suis un amateur
dans le catastrophisme. Voyons… quels sont les mots qui reviennent tout le
temps dans leur bouche… ah, oui, inquiétant, inquiétudes, s’inquiéter.
Vérifiez, vérifiez.
Alors,
me direz-vous, que fait-on ? Aiguise-t-on déjà le sabre du sepuku ?
Pas encore. Il reste malgré tout quelques raisons d’espérer.
1-Il y a
des gens qui luttent : pêle-mêle, petits producteurs de terroir, Finance
Watch, Confédération paysanne, Colibri, Kokopelli, Criirad, Sherpa, Collectif
Roosvelt, LPO,…
2-Vous
pouvez aiguiser votre esprit critique en pratiquant la chasse aux
bobards ; je vous propose d’ailleurs des lectures subversives à la
dernière page, en nombre limité parce que je ne conseille que ce que j’ai lu et
apprécié.
3-Vous
pouvez agir par de petits gestes, en soignant votre bilan carbone –éviter les
déplacements inutiles-, en évitant la surconsommation, en privilégiant le
commerce de proximité.
N’attendez
pas que les choses se fassent d’elles-mêmes, vous risqueriez d’attendre
longtemps. On nous parle d’un monde en transition, d’une nouvelle ère :
persuadez-vous bien que ceux qui dévorent le plus gros du gâteau n’autoriseront
le début d’une « civilisation environnementale » qu’au moment où ils
auront calé leur business pour tirer profit de ce « nouvel âge ».
S’il n’était question que d’argent, l’affaire ne serait pas si dramatique, mais
les conséquences de l’idéologie dominante pourrait être des désordres majeurs
de notre biotope et, à leur suite, la dégringolade sociale, la violence et
l’égoïsme démultipliés puisque, la deuxième guerre mondiale l’ayant démontré,
dans une situation de grande crise les humains se répartissent en : une
fraction d’ignobles que nul sentiment n’arrête, un masse d’impuissants qui
essaient de survivre, une frange de résistants qui sacrifient leur vie à leur
idéal.
Je ne
parierai pas sur la partie qui serait la mienne ; en tous cas la seule
planche de salut c’est qu’un (des) homme(s), issu de la dernière catégorie,
prenne les rênes, entraîne la masse dans un mouvement salutaire et limite les
entrepreneurs à une activité commerciale aussi nécessaire que raisonnée.
En
l’absence d’une personnalité de cette force, il ne faut pas attendre de solutions de la
bonté et de la sagesse humaines dont l’idée qu’elles sont partagées par tous
est un pur fantasme. Je n’en veux pour preuve que ce que j’appelle le syndrome
du dodo-Nauru.
Nauru,
appelée aussi l’ile plaisante, c’est 21 km2 de paradis dans le Pacifique sud,
jusqu’au jour où l’on découvre puis exploite le phosphate de son sous-sol. L’exploitation
commence en 1907 et fait de Nauru un des plus riches pays du monde ; à partir de 1986 le gisement décline, les
cours du phosphate baissent : exploitation sans freins, dépenses
somptuaires, la république de Nauru –créée en 1968- dépose le bilan en 2004. Il
n’y a plus d’argent, plus de terre arable, quasiment plus d’arbres ; les
habitants, presque tous obèses, regardent leur île au 9/10 dévastée, leurs 4x4
et leurs bus qui rouillent, leur banque inutile, leur futur laminé.
Dans les
îles Mascareignes de l’Océan indien vivaient les dodos, ou drontes. Ce bon gros
volatile de la taille d’un dindon, pataud, incapable de voler, fut découvert
sur l’île Maurice par des marins hollandais en 1598. Il faut admettre qu’un
beau dodo rôti à la broche, c’était tentant ! Capture facile, viande
abondante, pourquoi se priver ? Malgré tout, qu’auriez-vous fait au moment
où il ne restait que quelques couples ; comme les gens du 18ème
siècle, les manger jusqu’à la dernière cuisse ? Qu’a pu penser celui qui
l’a croquée ? Si vous voulez voir un dodo aujourd’hui il vous reste les
livres ou les musées (Londres, Copenhague, Prague).
Voilà ;
pour moi ces deux exemples sont l’illustration absolue de la sagesse humaine.
Ne comptons pas sur le bon sens planétaire pour ralentir ce monde, voiture sans
freins lancée dans une pente qui, au lieu de rétrograder, ne cesse d’accélérer.
Pour ranimer l’économie, cette moribonde, quoi de mieux que les grands
travaux : encore plus d’autoroutes, de zones commerciales, de bâtiments
divers, d’aéroports ; on arrive à saturation dans pas mal
d’endroits ? On verra bien ; dans cinquante ans on aura trouvé
des solutions !
Comme
Guy Debord je verrais bien un retour au sensible, au réel, à la vie
quotidienne. Ce qui me sidère c’est l’imperméabilité de l’univers des
décideurs ; ils ont construit un monde parallèle régi par leurs propres
règles, de plus en plus distant des réalités organiques et physiques ; ils
ignorent superbement, depuis quarante ans, les avertissements et les analyses
de scientifiques reconnus, de sociologues et de penseurs plus qu’estimables.
Dans leur univers une forêt n’est pas une forêt mais un potentiel de loisirs
rémunérés, un atout marchand, un gisement de ressources pour construction,
chauffage ou papier. Cette vision déformée –et c’est là le problème- prévaut en
tous lieux, à tous moments et n’épargne(ra) , à plus ou moins long terme,
ni beauté, ni caractère sacré.
De même
toute terre est vue comme un terrain, c'est-à-dire une surface qui s’offre à
l’aménagement urbain et non pas comme le tissu vivant de notre planète ;
l’eau est un bien rare dont la captation engendre conflits d’intérêts,
convoitise, commerce.
Prenant
appui sur l’expansion démographique et les nécessités économiques les décideurs
peuvent appliquer –avec quelques légers freins- leur doxa impitoyable : ce
qu’ils font à la nature il est logique qu’ils le fassent aux hommes, simples
machines humaines à la valeur marchande dérisoire.
Il n’est
pas nécessaire de sortir de Polytechnique pour comprendre que l’équation monde fini x croissance perpétuelle de
l’économie x démographie explosive = crises
à répétition de plus en plus fréquentes et dévastatrices.
Aussi
admirable que soit une tablette tactile, elle ne produit pas le légume qui me
nourrit, l’eau qui me désaltère, le bois qui me chauffe, la plante qui me
soigne, les pierres qui m’abritent. Si, pour profiter d’un smartphone je dois
renoncer pour toujours à trouver une eau potable, mon choix est vite fait.
Pourquoi
changer, me direz-vous ? Parce qu’à moins de croire à la petite souris
sous l’oreiller et au marchand de sable, les désordres peuvent avoir raison de
notre « civilisation » [regardez les états de barbarie dans des
villes sud-américaines, par exemple], la Terre ne grandira pas pour nous faire
plus de place, les déchets toxiques n’auront pas la courtoisie de s’évanouir
dans la nature et, ayant exploité les gisements faciles, nous devrons bousiller
encore plus la planète pour utiliser les moins accessibles. Parce que j’ai
envie que mes arrière petits-enfants voient en moi un humain sympathique et non
un de ces « connards » qui leur ont laissé des factures à régler pour
des biens dont ils ne peuvent plus profiter.
Si vous
n’êtes pas d’accord, continuez, mais soyez prêts à assumer ce que vous vivrez
et ce que vous lèguerez à vos descendants : un monde artificialisé où les
idées de nature proche, de charme des paysages familiers, seront de plus en plus virtuelles pour les
citadins, puisqu’il faudra, pour les besoins humains et le maintien des emplois,
multiplier bâtiments, routes, autoroutes, parkings,… Vous avez entendu comme
moi que la Chine (où l’on se promène avec un masque dans les grandes villes)
urbanise l’équivalent de l’lle-de-France tous les cinq ans (les Chinois :
de futurs visiteurs si nous préservons nos vertes campagnes).
Ce sera
également un endroit où feront rage les guerres sans visage pour l’accès aux
ressources (eau, terre, minerai,…) ; un lieu aux aménagements inhumains,
une sorte de jungle urbaine où nos germes héréditaires trouveront un milieu
accueillant (paranoïa, délinquance et sadisme, exploitation des autres,
tyrannie législative et réglementaire).
Messieurs,
en route pour Cythère, mais ne vous rassurez pas en vous disant que je délire,
examinez les chiffres, relisez historiens, ethnologues et poètes, et vous m’en
direz des nouvelles.
P.S. : Demain, deux annexes et la liste des lectures subversives.