Amis sportifs, je suis le seul intellectuel 50% sportif;
amis intellectuels, je suis le seul sportif 50% intellectuel;
amis cons, allez surfer ailleurs;
amis, jeunes ou vieux, qui ne voulez pas mourir idiots, venez me rendre une petite visite de temps en temps.

jeudi 30 avril 2015

NON-CONCLUSION



EN GUISE DE NON-CONCLUSION



               Ma vision peut paraître pessimiste, mais quand j’entends les journalistes, notamment les spécialistes de l’économie, je m’aperçois que je suis un amateur dans le catastrophisme. Voyons… quels sont les mots qui reviennent tout le temps dans leur bouche… ah, oui, inquiétant, inquiétudes, s’inquiéter. Vérifiez, vérifiez.
               Alors, me direz-vous, que fait-on ? Aiguise-t-on déjà le sabre du sepuku ? Pas encore. Il reste malgré tout quelques raisons d’espérer.
               1-Il y a des gens qui luttent : pêle-mêle, petits producteurs de terroir, Finance Watch, Confédération paysanne, Colibri, Kokopelli, Criirad, Sherpa, Collectif Roosvelt, LPO,…
               2-Vous pouvez aiguiser votre esprit critique en pratiquant la chasse aux bobards ; je vous propose d’ailleurs des lectures subversives à la dernière page, en nombre limité parce que je ne conseille que ce que j’ai lu et apprécié.
               3-Vous pouvez agir par de petits gestes, en soignant votre bilan carbone –éviter les déplacements inutiles-, en évitant la surconsommation, en privilégiant le commerce de proximité.
               N’attendez pas que les choses se fassent d’elles-mêmes, vous risqueriez d’attendre longtemps. On nous parle d’un monde en transition, d’une nouvelle ère : persuadez-vous bien que ceux qui dévorent le plus gros du gâteau n’autoriseront le début d’une « civilisation environnementale » qu’au moment où ils auront calé leur business pour tirer profit de ce « nouvel âge ». S’il n’était question que d’argent, l’affaire ne serait pas si dramatique, mais les conséquences de l’idéologie dominante pourrait être des désordres majeurs de notre biotope et, à leur suite, la dégringolade sociale, la violence et l’égoïsme démultipliés puisque, la deuxième guerre mondiale l’ayant démontré, dans une situation de grande crise les humains se répartissent en : une fraction d’ignobles que nul sentiment n’arrête, un masse d’impuissants qui essaient de survivre, une frange de résistants qui sacrifient leur vie à leur idéal.
               Je ne parierai pas sur la partie qui serait la mienne ; en tous cas la seule planche de salut c’est qu’un (des) homme(s), issu de la dernière catégorie, prenne les rênes, entraîne la masse dans un mouvement salutaire et limite les entrepreneurs à une activité commerciale aussi nécessaire que raisonnée.
               En l’absence d’une personnalité de cette force,  il ne faut pas attendre de solutions de la bonté et de la sagesse humaines dont l’idée qu’elles sont partagées par tous est un pur fantasme. Je n’en veux pour preuve que ce que j’appelle le syndrome du dodo-Nauru.
               Nauru, appelée aussi l’ile plaisante, c’est 21 km2 de paradis dans le Pacifique sud, jusqu’au jour où l’on découvre puis exploite le phosphate de son sous-sol. L’exploitation commence en 1907 et fait de Nauru un des plus riches pays du monde ;  à partir de 1986 le gisement décline, les cours du phosphate baissent : exploitation sans freins, dépenses somptuaires, la république de Nauru –créée en 1968- dépose le bilan en 2004. Il n’y a plus d’argent, plus de terre arable, quasiment plus d’arbres ; les habitants, presque tous obèses, regardent leur île au 9/10 dévastée, leurs 4x4 et leurs bus qui rouillent, leur banque inutile, leur futur laminé.
               Dans les îles Mascareignes de l’Océan indien vivaient les dodos, ou drontes. Ce bon gros volatile de la taille d’un dindon, pataud, incapable de voler, fut découvert sur l’île Maurice par des marins hollandais en 1598. Il faut admettre qu’un beau dodo rôti à la broche, c’était tentant ! Capture facile, viande abondante, pourquoi se priver ? Malgré tout, qu’auriez-vous fait au moment où il ne restait que quelques couples ; comme les gens du 18ème siècle, les manger jusqu’à la dernière cuisse ? Qu’a pu penser celui qui l’a croquée ? Si vous voulez voir un dodo aujourd’hui il vous reste les livres ou les musées (Londres, Copenhague, Prague).
               Voilà ; pour moi ces deux exemples sont l’illustration absolue de la sagesse humaine. Ne comptons pas sur le bon sens planétaire pour ralentir ce monde, voiture sans freins lancée dans une pente qui, au lieu de rétrograder, ne cesse d’accélérer. Pour ranimer l’économie, cette moribonde, quoi de mieux que les grands travaux : encore plus d’autoroutes, de zones commerciales, de bâtiments divers, d’aéroports ; on arrive à saturation dans pas mal d’endroits ? On verra bien ; dans cinquante ans  on aura trouvé des solutions !
               Comme Guy Debord je verrais bien un retour au sensible, au réel, à la vie quotidienne. Ce qui me sidère c’est l’imperméabilité de l’univers des décideurs ; ils ont construit un monde parallèle régi par leurs propres règles, de plus en plus distant des réalités organiques et physiques ; ils ignorent superbement, depuis quarante ans, les avertissements et les analyses de scientifiques reconnus, de sociologues et de penseurs plus qu’estimables. Dans leur univers une forêt n’est pas une forêt mais un potentiel de loisirs rémunérés, un atout marchand, un gisement de ressources pour construction, chauffage ou papier. Cette vision déformée –et c’est là le problème- prévaut en tous lieux, à tous moments et n’épargne(ra) , à plus ou moins long terme, ni beauté, ni caractère sacré.
               De même toute terre est vue comme un terrain, c'est-à-dire une surface qui s’offre à l’aménagement urbain et non pas comme le tissu vivant de notre planète ; l’eau est un bien rare dont la captation engendre conflits d’intérêts, convoitise, commerce.
               Prenant appui sur l’expansion démographique et les nécessités économiques les décideurs peuvent appliquer –avec quelques légers freins- leur doxa impitoyable : ce qu’ils font à la nature il est logique qu’ils le fassent aux hommes, simples machines humaines à la valeur marchande dérisoire.
               Il n’est pas nécessaire de sortir de Polytechnique pour comprendre que l’équation  monde fini x croissance perpétuelle de l’économie x démographie explosive = crises  à répétition de plus en plus fréquentes et dévastatrices.
               Aussi admirable que soit une tablette tactile, elle ne produit pas le légume qui me nourrit, l’eau qui me désaltère, le bois qui me chauffe, la plante qui me soigne, les pierres qui m’abritent. Si, pour profiter d’un smartphone je dois renoncer pour toujours à trouver une eau potable, mon choix est vite fait.
               Pourquoi changer, me direz-vous ? Parce qu’à moins de croire à la petite souris sous l’oreiller et au marchand de sable, les désordres peuvent avoir raison de notre « civilisation » [regardez les états de barbarie dans des villes sud-américaines, par exemple], la Terre ne grandira pas pour nous faire plus de place, les déchets toxiques n’auront pas la courtoisie de s’évanouir dans la nature et, ayant exploité les gisements faciles, nous devrons bousiller encore plus la planète pour utiliser les moins accessibles. Parce que j’ai envie que mes arrière petits-enfants voient en moi un humain sympathique et non un de ces « connards » qui leur ont laissé des factures à régler pour des biens dont ils ne peuvent plus profiter.
               Si vous n’êtes pas d’accord, continuez, mais soyez prêts à assumer ce que vous vivrez et ce que vous lèguerez à vos descendants : un monde artificialisé où les idées de nature proche, de charme des paysages familiers,  seront de plus en plus virtuelles pour les citadins, puisqu’il faudra, pour les besoins humains et le maintien des emplois, multiplier bâtiments, routes, autoroutes, parkings,… Vous avez entendu comme moi que la Chine (où l’on se promène avec un masque dans les grandes villes) urbanise l’équivalent de l’lle-de-France tous les cinq ans (les Chinois : de futurs visiteurs si nous préservons nos vertes campagnes).
               Ce sera également un endroit où feront rage les guerres sans visage pour l’accès aux ressources (eau, terre, minerai,…) ; un lieu aux aménagements inhumains, une sorte de jungle urbaine où nos germes héréditaires trouveront un milieu accueillant (paranoïa, délinquance et sadisme, exploitation des autres, tyrannie législative et réglementaire).
               Messieurs, en route pour Cythère, mais ne vous rassurez pas en vous disant que je délire, examinez les chiffres, relisez historiens, ethnologues et poètes, et vous m’en direz des nouvelles.

P.S. : Demain, deux annexes et la liste des lectures subversives.

mercredi 29 avril 2015

LA CRÉTINISATION PROGRAMMÉE



                                                       VII   LA CRÉTINISATION PROGRAMMÉE



               Le procédé d’abrutissement des masses n’est pas nouveau (ah, le fameux « du pain et des jeux » des Romains !), la nouveauté ce sont les capacités de diffusion dont disposent les manipulateurs.
               Pour cela il a fallu parvenir à une concentration des pouvoirs, facilitée et amplifiée par les mécanismes néo-libéraux ; ainsi une entreprise de taille internationale –et son dirigeant-, partant par exemple du domaine des travaux publics, peut investir des médias dont les journalistes économiques pourront être choisis en fonction de leur orthodoxie par rapport au tout-béton, au tout-autoroute,… Bien évidemment, il s’agit là d’une pure spéculation intellectuelle.
               On ne peut pas parler d’un complot mondial, ni même d’un machiavélisme de ploutocrates ; il s’agit, à des fins purement mercantiles, d’une manipulation très intelligente, puisqu’elle nous fait croire à une grande liberté individuelle, alors que face à un tel pouvoir une libération ne peut être que collective (seuls, nous sommes impuissants). Je le répète, nous ne sommes pas sous la sujétion d’un potentat tyrannique ou d’un milliardaire fou et mégalomane, mais simplement sous l’emprise de quasi autocrates qui, dans un intérêt marchand, tissent un réseau implacable qui nous paralyse comme dans une toile d’araignée.
               Des hommes de ce type ne constituent pas une nouveauté mais l’ère industrielle leur a fourni un terreau d’exception, encore enrichi par le libéralisme, puis le néo-libéralisme. Ils pilotent la partie intentionnelle de la crétinisation ; le but : vendre plus pour produire plus pour gagner plus.
               L’appâtage est permanent [teasing en anglais, broumégeade en provençal] : écrans, boîtes aux lettres, ondes radios, sont saturés de promos exceptionnelles, de soldes incroyables et d’anniversaires à prix cassés. Même les plus résistants finissent par craquer et si l’on n’y prend pas garde on finit obnubilé par la quête sans relâche des bonnes affaires. Un esprit mobilisé pour acheter la dernière nouveauté électronique présente peu de risques de s’exciter pour la lutte des classes.
               L’important est la « futilisation » : une vie bien remplie c’est une rollex, une voiture avec sièges en cuir et tableau de bord en ronce de noyer, une maison piscinisée, des vêtements de marque, une gueule et des seins plastifiés. Peu importe si l’on mange de la merde farcie d’hormones, de pesticides, de colorants, de conservateurs et d’exhausteurs de goût ; si l’eau du robinet est imbuvable ; si le bois de mes volets gondole au bout de deux ans ; si des médicaments nous empoisonnent aussi sûrement que le cyanure.
               Le talent des mercantis c’est d’installer le futile au premier plan ; pour les besoins fondamentaux, faites confiance, bonnes gens, aux multinationales qui vous fourniront les services standardisés idoines, vous permettant de consacrer du temps à des activités importantes : shopping, télé –que de délices en perspective-, jeux divers mais rémunérateurs –surtout pour eux-, ballade en quad,…
               Il y a aussi l’illusion : là encore je m’incline devant la force et la réussite des manipulateurs, je devrais dire des magiciens. Les pieds dans la gadoue, d’aucuns contemplent le miroir aux alouettes et s’y voient millionnaires dans trois cents mètres carrés à Malibu sur les genoux de Charlize Theron. N’est-ce pas de la prestidigitation que d’arriver à persuader le (la) quidam qu’un objet, un loisir, une somme, vont combler son vide spirituel et lui apporter le bonheur ?
               Reste la partie involontaire, accidentelle, non désirée de la crétinisation, en somme un dommage collatéral de nos initiatives pourtant vertueuses : en pensant bien faire –et je ne m’exclus pas du lot- certains produisent un état de vide mental qui aspire, dans ce que j’appelle le trou noir, les repères, le sens de limites et des nuances. Il y a deux domaines où j’ai quelques compétences et qui présentent les symptômes d’un processus de crétinisation rampant : l’enseignement et le livre.
               En mettant l’élève au centre du système éducatif (comme s'il avait été un jour hors jeu) les pédagogues, avec les meilleures intentions du monde, ont perdu de vue des évidences, aboutissant à des désordres que l’on soigne à coups de réformes aussi efficaces que l’œuf dur et le gressin pour soigner le ver solitaire.*
               Les enfants du 21ème siècle ne sont ni moins intelligents ni plus méchants que leurs prédécesseurs, mais il manque à nombre d’entre eux une éducation à l’effort, à l’estime d’autrui, à l’appréhension du délai et de la contrainte.
               Ce qui existait à l’état de cas isolés s’est banalisé ; combien d’enseignants travaillent dans un brouhaha généralisé et permanent au milieu d’élèves qui les considèrent comme des « bouffons » ou des gagne–petit ?
               Entériner la baisse du niveau des diplômes –les instituteurs avec un bac n’étaient pas moins bons que ceux bardés d’un master- installer des caméras, minimiser l’état de violence dans les établissements, alléger les programmes de leurs matières épistémologiques (merde, celui-là je n’ai pas pu l’éviter !), accepter que les élèves ne montrent plus de signes de courtoisie ou refusent tout apprentissage par cœur, tout cela témoigne d’un processus de crétinisation, et les enfants n’en sont pas responsables.
               En revanche, l’Ecole livrera à la société un être egocentré, préoccupé de la satisfaction de ses besoins, peu soucieux des usages qui lubrifient la  vie en société mais disposé au formatage par la matrice publicitaire.
               J’en admire d’autant plus tous les jeunes que je croise et que je trouve ouverts, équilibrés et généreux.

               Le second domaine, qui me passionne autant qu’il me préoccupe, c’est celui du livre ; dès mes études en fac je me suis intéressé à l’activité de l’édition, à tout ce qui touchait au domaine du livre.
               A mes yeux toute littérature est potentiellement consommable et je ne me suis jamais embarrassé de préjugés ; selon mon humeur tout fait ventre : Barbara Cartland, Frédéric Dard, Isaac Asimov, Pierre Bourdieu, Patricia Cornwell, Jean Malaurie, Michel Foucault, K.-J. Jung. Il n’y a pas de désastre à lire Guillaume Musso, Cinquante nuances de Grey ou même les mémoires d’un sportif à la mode, mais il y aura crétinisation du moment où ne sera proposé au lecteur que les livres dûment publicisés ; comme l’estomac à besoin d’aliments variés, l’esprit doit se nourrir d’ouvrages divers. Or je perçois un danger d’assèchement dans la vente en ligne –j’ai dit amazone ; ah, non, je ne crois pas !- à moins qu’elle ne soit le fait de libraires vendant aussi en magasins. Car si le commerce internet devait tuer les libraires et des éditeurs, il tuerait en même temps des formes de littérature.
               Le libraire c’est l’amateur –au sens étymologique-qui valorise le produit culturel autant qu’il laisse parler sa passion ; l’éditeur, avec tous ses défauts et ses ratés, c’est celui qui couve et fortifie des écrivains, qui est à même de cultiver-à côté de nécessaires best-sellers- les différences, et de combattre l’anschluss du livre formaté dont l’exclusivité serait le triomphe d’une forme de crétinisation.

*Blague que je réserve à mes plus fidèles lecteurs.

mardi 28 avril 2015

LA CONFUSION





VI  LA CONFUSION



               Il m’est arrivé de marcher dans quarante centimètres de boue bien collante et d’y laisser une botte : pour le sujet que j’aborde c’est à peu près la même chose. Me voilà donc en terrain vaseux, mais qui ne tente rien…
               Le monde fourmille de nuances, de zones d’ombre, d’ambiguïtés et d’à peu près, ce n’est pas pour autant que nous devons nous passer d’une échelle des valeurs déterminant les limites de l’acceptable et de l’inacceptable. Si l’on ignore cette échelle ou qu’on la transgresse, s’installe une forme de confusion dans laquelle les malintentionnés trouvent un biotope commode et les gens bien vivent de plus en plus mal. Un exemple ? Certains agriculteurs qui produisent honnêtement la nourriture, indispensable à notre corps, vivent dans la frugalité –voire un dénuement qu’ils affrontent avec dignité- financière, tandis que des traders, que je soupçonne de parasitisme, vivent ou ont vécu dans une opulence outrancière. Cherchez l’erreur.
               Les médias, avides de nouveautés et de sensationnel, contribuent à la confusion générale en montant en épingle l’anecdotique et le superficiel, faisant une icône d’un monsieur musclé qui tape habilement dans un ballon, un génie d’un artiste opportuniste non dénué de talent,  un Camus d’un écrivaillon –tel que moi- qui n’a encore produit aucune œuvre majeure, un penseur d’un pseudo-intellectuel vide comme une outre, creux comme une cruche, mais plein de lui-même.
               La confusion des sentiments est  parfois le résultat naturel de situations extrêmes, mais celle des idées et des valeurs est un poison insidieux qui nous porte doucement vers le blasement, le tout se vaut, le ça dépend, l’inaction.
               Les médias gonflent et dégonflent au fil de leurs envies et de leurs besoins les personnalités de référence et on finit par perdre toute stabilité d’esprit. En quelques jours, le modèle d’hier peut devenir une baudruche ratatinée : on peut imaginer l’effondrement de celui qui a pu se croire un référent et l’égarement de ceux qui l’ont vénéré (la plupart s’en sortent en rejetant leur adoration sur le veau d’or suivant généré par la machine médiatique).
               Il y a bien des domaines où « l’entre deux » est sans conséquences mais quand les effets de la confusion atteignent ceux dont dépend notre survie on est en droit de se révolter : ainsi, on me fera difficilement admirer les « faiseurs d’argent » chez lesquels louvoient sans vergogne de véritables faussaires alors que toute mon estime va à ceux qui me permettent de ne pas mourir de faim ou de froid, de disposer d’un abri confortable, de maintenir ma santé, de goûter les joies du sublime* sans lesquelles l’homme n’est qu’un animal parmi les autres.
               La tendance à l’excès dans le langage participe à (de) cette confusion et je m’inquiète toujours quand j’entends parler d’amour fusionnel, d’objet cultissime et autres film ou chanson du siècle. C’est pourquoi j’éprouve le besoin, pour conclure cet article, de me laisser aller à quelques jugements de valeurs bien appuyés, sur lesquels vous exercerez votre liberté de blâmer ou d’approuver.
               Zlatan Ibrahimovic n’est qu’un très bon manieur de ballon et si, dans une publicité, il vante les mérites de la crème Tartempion, je m’empresserai de ne pas l’acheter. Il est peut-être, au demeurant, un monsieur très sympathique.
               Toutes ces personnes dont films et romans sont friands : caïds de la pègre et de la mafia, souteneurs, trafiquants de drogues, tueurs à gages, serial killers, sont autant d’immondes saloperies et rien ne justifie de les exposer avec complaisance même si des « gens honnêtes » ne se comportent pas mieux [le général Nivelle en 1917, les fabricants de mines anti-personnel, les employeurs d’enfants,…].
               Paris Hilton, richissime bécasse élevée au rang de personnalité, ne saurait me servir de mentor, même si, pour une héritière aussi fortunée, elle présente un physique très acceptable. Horripilante, mais acceptable.
               Un politicien est un homme comme les autres –hormis sa capacité à se déplacer, serrer des mains, embrasser beaucoup et dormir peu- et ce n’est pas parce qu’il sort d’une grande école que je me sens particulièrement rassuré : j’ai rencontré assez de cerveau pleins à craquer pour savoir que diplômes et bon sens ne font pas systématiquement bon ménage.
               Les peuples dits primitifs, maintenant premiers, donc fondateurs, ont tellement à nous apprendre sur nous-mêmes et notre futur –moins dans leur modernité souvent dégénérée que dans les témoignages de leur vie « pré-civilisationnelle »- que je me demande toujours comment on peut se dispenser de lire tout ouvrage d’ethnographie, en particulier de la collection Terre humaine.
               Chefs de petites entreprises qui brûlez toute votre énergie à faire vivre votre boîte, parfois pour un salaire à peine triple de celui de vos techniciens ; paysans attachés à votre terre, travaillant beaucoup pour gagner peu, essayant de maintenir des produits de terroir, considérés par nombre de citadins comme l’étaient les « poilus » par les gens de l’arrière ; tant d’autres qui fatiguent leur corps  et leur âme dans un labeur sous-payé et déconsidéré : je vous respecte. Rappelez-vous que lorsqu’ils sont en nombre même les jobastrons font peur.


*Les sources du sublime : les Arts, les beautés de la Nature, les sentiments nobles. Pour moi, le sublime est ce qui galvanise le meilleur en nous ; j'emploie ce mot plutôt que le sacré (trop connoté religion) ou le merveilleux (plus adapté à la littérature).

lundi 27 avril 2015

LE MOT GRI-GRI

   



V  LE MOT GRI-GRI

                                                                                                    

    Le mot gri-gri c’est le mot qu’on jette au visage de son adversaire, par exemple un trublion écolo-anarchiste, et qui l’anéantit, le méduse, en même temps qu’il enveloppe son utilisateur dans une aura protectrice de savoir, de modernité, d’humanisme clairvoyant.
    Le propre d’un mot à la mode c’est de connaître une gloire éphémère car un usage excessif le vide plus ou moins vite de sa substance et, comme un chewing-gum trop mâché, il faut l’abandonner : ensuite, soit il rentrera définitivement dans les rangs du dictionnaire, anonyme parmi ses frères de langage, soit il se refera une santé pour réapparaître un jour, prêt à être remastiqué par les insatiables mâchoires médiatiques. Voilà le lot commun des mots ; or, beaucoup de mots gri-gri échappent à ce fatal destin, et c’est pour moi un sujet d’étonnement : ils sont parfois mâchouillés jusqu’à la transparence et gardent pourtant leur saveur magique. Voici donc quelques uns de ces termes-talismans, à la fois arme et bouclier, qui clouent le bec à toute la ménagerie écolo-gauchiste comme à des scientifiques aussi modestes qu’érudits ou quelques politiques compétents mais isolés.

    MODERNE : en voilà un dont le succès ne se dément pas. Cet adjectif pare instantanément le mot auquel il est associé d’un nimbe fabuleux. Ainsi, tout projet bien véreux, toute réalisation aussi pharaonique qu’inutile, toute politique d’un petit napoléon municipal, obtiennent, par l’adjonction de ces sept lettres, un caractère de dynamisme et de sérieux qui renvoie à des années-lumière toute opposition.
    Arrêtons-nous un instant sur sa définition : qui appartient ou convient à l’âge présent ; il est donc synonyme d’actuel, de contemporain. Par conséquent son usage dans le langage économico-politique est un véritable abus : dans l’esprit, notre finance est héritée du 19ème siècle, notre politique de l’après-guerre, notre architecture des années 20, donc, une économie, une politique et un urbanisme modernes ont fait long feu.
    La distorsion dans l’emploi de ce mot est telle que l’on distingue l’Art Moderne et l’Art contemporain, ce qui, au 20ème siècle, a donné lieu à des finasseries intellectuelles aussi cocasses que byzantines.
    Quoiqu’il en soit,  cette coque vide reste d’une redoutable efficacité.

    PROGRÈS : pour moi qui fut professeur dans une autre vie, c’est à la fois le plus banal –mention bateau dans un bulletin scolaire- et le plus important des mots –quand il se réalise chez quelqu’un dont vous avez la responsabilité- mais dans le langage courant il permet (hélas !) toutes les dérives, toutes les justifications, tous les abus.
    Au nom du progrès nous avalons non seulement toutes les couleuvres mais encore des boas constrictor ; devant lui toute protestation est vaine, avant même d’avoir été exprimée.
    Arrêtons-nous sur trois expressions :
*la rançon du progrès. Traduction : on a fait ce qui était le mieux, même si c’est moins bien.
    Exemple : chaque été le centre de ma ville est bouché comme un constipé de huit jours.
    Solution de progrès : une belle rocade dans la zone verte.
    Bénéfice : un an de travail pour les ouvriers de la route, un max de blé pour les intermédiaires et la grosse entreprise, une touche « moderne » pour notre ville.
    Résultat : au bout de deux ans, tout le monde connaissant l’existence de cet accélérateur de circulation, il y a cinq fois plus de voitures et un embouteillage monstrueux au bout de la déviation ; le vue de la zone verte est massacrée ; quelques agriculteurs riverains ont vu leurs terrains (leur gagne-pain) amputés et leur ferme devenir un enfer décibélique… c’est la rançon du progrès.
    Demandez aux ouvriers jetés dans le chômage, aux jeunes adultes qui galèrent pour démarrer dans la vie professionnelle, ce qu’ils pensent de cette rançon. Double cocufiage : votre environnement est bousillé ! Ah, merde, votre emploi aussi !
    Quand un progrès aboutit à une régression, est-ce encore un progrès ?

DÉVELOPPEMENT : ah, celui-là aussi il frappe fort. Tout ce qui se mettrait en travers du développement est frappé de ringardise, d’arriération.
    Profitant d’une notoriété légitime (voir développement mental, psychique, philosophique,…) il prend dans certains domaines la force d’une incantation, balayant toute restriction, toute velléité de contradiction. Associé aux mots commune, département, région, pays, il est le garant de l’orthodoxie et du modernisme –voir plus haut- et pourtant il repose sur une incongruité.
    Dans un état de nature donné il ne peut y avoir de développement d’une espèce sans régression d’une autre ou sans pillage des ressources épuisables. Il en va ainsi de notre propre développement et nous ne saisissons pourtant pas le paradoxe qu’il y a à vouloir contrôler des populations animales alors que nous n’envisageons pas de limiter la nôtre.
     En même temps que nous agrandissons nos villes, comme jamais dans l’histoire de l’humanité, nous consommons des montagnes pour notre béton, nous éliminons irrémédiablement des animaux et des plantes, nous stérilisons des terres,  sans que nous vienne l’envie de réfléchir à ce qu’a de toxique et mortifère le principe d’un développement infini dans un monde fini. Et les jobastrons auront des ailes avant que nous puissions aller sur Mars goûter les joies d’un nouvel âge de développement effréné !

   Si ces trois termes sont hors catégories, il existe malgré tout bien d’autres termes ou expressions gri-gri dont il faut toujours craindre les effets secondaires : vitesse, puissance, liberté (d’entreprendre), autorégulation, relance*, et tous ceux qui font fureur chez nos édiles comme Eco-quartier, HQE, BBC, équipements structurants,… A l’aide de ces mots des décideurs inventent un conte de notre vie et finissent par y croire.

*Notre monde en surchauffe est comme un marathonien dans le rouge : pour une « relance » il faut en avoir encore sous le pied, sinon c’est le crash assuré un peu plus tard.