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lundi 27 avril 2015

LE MOT GRI-GRI

   



V  LE MOT GRI-GRI

                                                                                                    

    Le mot gri-gri c’est le mot qu’on jette au visage de son adversaire, par exemple un trublion écolo-anarchiste, et qui l’anéantit, le méduse, en même temps qu’il enveloppe son utilisateur dans une aura protectrice de savoir, de modernité, d’humanisme clairvoyant.
    Le propre d’un mot à la mode c’est de connaître une gloire éphémère car un usage excessif le vide plus ou moins vite de sa substance et, comme un chewing-gum trop mâché, il faut l’abandonner : ensuite, soit il rentrera définitivement dans les rangs du dictionnaire, anonyme parmi ses frères de langage, soit il se refera une santé pour réapparaître un jour, prêt à être remastiqué par les insatiables mâchoires médiatiques. Voilà le lot commun des mots ; or, beaucoup de mots gri-gri échappent à ce fatal destin, et c’est pour moi un sujet d’étonnement : ils sont parfois mâchouillés jusqu’à la transparence et gardent pourtant leur saveur magique. Voici donc quelques uns de ces termes-talismans, à la fois arme et bouclier, qui clouent le bec à toute la ménagerie écolo-gauchiste comme à des scientifiques aussi modestes qu’érudits ou quelques politiques compétents mais isolés.

    MODERNE : en voilà un dont le succès ne se dément pas. Cet adjectif pare instantanément le mot auquel il est associé d’un nimbe fabuleux. Ainsi, tout projet bien véreux, toute réalisation aussi pharaonique qu’inutile, toute politique d’un petit napoléon municipal, obtiennent, par l’adjonction de ces sept lettres, un caractère de dynamisme et de sérieux qui renvoie à des années-lumière toute opposition.
    Arrêtons-nous un instant sur sa définition : qui appartient ou convient à l’âge présent ; il est donc synonyme d’actuel, de contemporain. Par conséquent son usage dans le langage économico-politique est un véritable abus : dans l’esprit, notre finance est héritée du 19ème siècle, notre politique de l’après-guerre, notre architecture des années 20, donc, une économie, une politique et un urbanisme modernes ont fait long feu.
    La distorsion dans l’emploi de ce mot est telle que l’on distingue l’Art Moderne et l’Art contemporain, ce qui, au 20ème siècle, a donné lieu à des finasseries intellectuelles aussi cocasses que byzantines.
    Quoiqu’il en soit,  cette coque vide reste d’une redoutable efficacité.

    PROGRÈS : pour moi qui fut professeur dans une autre vie, c’est à la fois le plus banal –mention bateau dans un bulletin scolaire- et le plus important des mots –quand il se réalise chez quelqu’un dont vous avez la responsabilité- mais dans le langage courant il permet (hélas !) toutes les dérives, toutes les justifications, tous les abus.
    Au nom du progrès nous avalons non seulement toutes les couleuvres mais encore des boas constrictor ; devant lui toute protestation est vaine, avant même d’avoir été exprimée.
    Arrêtons-nous sur trois expressions :
*la rançon du progrès. Traduction : on a fait ce qui était le mieux, même si c’est moins bien.
    Exemple : chaque été le centre de ma ville est bouché comme un constipé de huit jours.
    Solution de progrès : une belle rocade dans la zone verte.
    Bénéfice : un an de travail pour les ouvriers de la route, un max de blé pour les intermédiaires et la grosse entreprise, une touche « moderne » pour notre ville.
    Résultat : au bout de deux ans, tout le monde connaissant l’existence de cet accélérateur de circulation, il y a cinq fois plus de voitures et un embouteillage monstrueux au bout de la déviation ; le vue de la zone verte est massacrée ; quelques agriculteurs riverains ont vu leurs terrains (leur gagne-pain) amputés et leur ferme devenir un enfer décibélique… c’est la rançon du progrès.
    Demandez aux ouvriers jetés dans le chômage, aux jeunes adultes qui galèrent pour démarrer dans la vie professionnelle, ce qu’ils pensent de cette rançon. Double cocufiage : votre environnement est bousillé ! Ah, merde, votre emploi aussi !
    Quand un progrès aboutit à une régression, est-ce encore un progrès ?

DÉVELOPPEMENT : ah, celui-là aussi il frappe fort. Tout ce qui se mettrait en travers du développement est frappé de ringardise, d’arriération.
    Profitant d’une notoriété légitime (voir développement mental, psychique, philosophique,…) il prend dans certains domaines la force d’une incantation, balayant toute restriction, toute velléité de contradiction. Associé aux mots commune, département, région, pays, il est le garant de l’orthodoxie et du modernisme –voir plus haut- et pourtant il repose sur une incongruité.
    Dans un état de nature donné il ne peut y avoir de développement d’une espèce sans régression d’une autre ou sans pillage des ressources épuisables. Il en va ainsi de notre propre développement et nous ne saisissons pourtant pas le paradoxe qu’il y a à vouloir contrôler des populations animales alors que nous n’envisageons pas de limiter la nôtre.
     En même temps que nous agrandissons nos villes, comme jamais dans l’histoire de l’humanité, nous consommons des montagnes pour notre béton, nous éliminons irrémédiablement des animaux et des plantes, nous stérilisons des terres,  sans que nous vienne l’envie de réfléchir à ce qu’a de toxique et mortifère le principe d’un développement infini dans un monde fini. Et les jobastrons auront des ailes avant que nous puissions aller sur Mars goûter les joies d’un nouvel âge de développement effréné !

   Si ces trois termes sont hors catégories, il existe malgré tout bien d’autres termes ou expressions gri-gri dont il faut toujours craindre les effets secondaires : vitesse, puissance, liberté (d’entreprendre), autorégulation, relance*, et tous ceux qui font fureur chez nos édiles comme Eco-quartier, HQE, BBC, équipements structurants,… A l’aide de ces mots des décideurs inventent un conte de notre vie et finissent par y croire.

*Notre monde en surchauffe est comme un marathonien dans le rouge : pour une « relance » il faut en avoir encore sous le pied, sinon c’est le crash assuré un peu plus tard.

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